Après Canal+, Vincent Bolloré fait valser les têtes chez Universal. Pascal Nègre, 54 ans, son emblématique patron au vestes impayables (et membre du board mondial du numéro un mondial de la musique) vient d’en faire les frais. Son contrat, qui avait pris fin le 31 décembre, n’a pas été renouvelé bien que ce dernier n’avait pas caché son intention de rempiler pour une ou deux années supplémentaires. A la tête de la branche française depuis 21 ans, cet ancien animateur radio puis attaché de presse est remplacé par la figure montante d’Universal Music, Olivier Nusse, directeur général des labels Mercury et Decca Records France qui comptent parmi les principales marques de cette major propriété à 100% de Vivendi. Les rumeurs de son remplacement s’étaient accentuées ces dernières semaines tandis que l’intéressé déclarait au Figaro fin janvier qu’il faudrait attendre le 1er février pour connaître son avenir au sein de la maison de la rue des Fossés Saint-Jacques, dans le Vème arrondissement parisien.
Très proche des artistes et de ses confrères producteurs, président de longue date de la SCPP, la principale société de gestion collective des producteurs phonographiques, Pascal Nègre était en conflit larvé depuis le début de l’automne avec le principal actionnaire et homme fort de Vivendi Vincent Bolloré. Ce dernier voulait lui adjoindre Olivier Nusse au poste de numéro deux afin de mieux le contrôler et de le faire rentrer dans une logique de groupe plus «corporate», en travaillant activement de concert avec les autres filiales du groupe Vivendi. Pas vraiment du goût du très indépendant et longtemps tout-puissant PDG d’Universal France qui au fil des années avait étendu son territoire en élargissant ses activités au Moyen-Orient et Maghreb, à la Méditerranée (Italie, Espagne, Portugal) et surtout aux «nouveaux business» d’Universal Music dont il avait pris la responsabilité mondiale en 2013. Fin décembre, Pascal Nègre avait fini par rencontrer longuement et en tête à tête le milliardaire breton afin de s’expliquer avec lui. Mais entre le producteur bateleur extraverti, aussi saltimbanque en apparence que redoutable businessman et le big boss Bolloré qui entend voir Universal Music jouer un rôle actif en Afrique, le courant passait mal. Question de culture, de style, de parcours.
Inlassable militant des modèles payants pour la diffusion de la musique sur Internet, artisan et partisan de l’Hadopi et de sa «riposte graduée», Pascal Nègre s’était un peu grillé à l’époque à force d’en rajouter dans la pédagogie du radar et de l’amende pour les récalcitrants. Au point de devenir la tête de turcs des anti-Hadopi qui voyaient en lui une caricature du producteur à l’ancienne. Il s’était alors fait plus discret avant de se faire le chantre du streaming dont il assure qu’il permettra «un jour» à la musique de retrouver son âge d’or du début 2000, juste avant l’irruption de Napster et du peer-to-peer. «Le nombre de Français abonnés aux offres payantes de musique à la demande par abonnement a dépassé les 3 millions, soit 5% de la population française», expliquait-il récemment à Libération. Le streaming devient un produit de grande consommation, ajoutait-il, en prenant l’exemple de la Suède et de Spotify et on peut très bien à terme arriver à 10 à 12 millions d’abonnés payants dans l’hexagone et retrouver le chiffre d’affaires des années 2000. Ce serait le rêve mais c’est possible, concluait cet éternel optimiste qui pronostique un retour à la croissance du secteur de la musique à l’horizon 2018.
Avec lui, Universal se maintient en tête des ventes
Cette figure du monde de la musique aura contribué à faire d’Universal Music la major archi-dominatrice du marché de la musique hexagonale avec une part de marché de 45%. Une situation quasi-unique au monde pour cette maison de disque qui n’a cessé de grossir dans le paysage français au fur et à mesure que le secteur s’enfonçait dans la crise et que ses concurrents, privés de la puissance de feu marketing d’un Universal, décrochaient. Très à l’aise avec les médias, Pascal Nègre est même devenu de manière éphémère un personnage grand public en participant comme jury à l’émission de télé-réalité Star Academy, co-produite par Universal entre 2001 et 2008 sur TF1. Dans son communiqué, Universal précise que son successeur Olivier Nusse a lui participé comme membre du jury à l’émission Popstars sur M6 en 2003.
Pascal Nègre qui avait pris la tête de Polygram en 1994 avant celle d’Universal Music France en 1998 a notamment participé activement au lancement d’artistes comme Khaled, Zebda, faudel ou encore Rachid Taha. A la tête d’un groupe qui a multiplié les restructurations ces dernières années en raison de la crise du disque, Pascal Nègre a permis à Universal de se maintenir en tête des ventes en combinant l’exploitation des grandes licences internationales du catalogue (U2, Eminem, Lady Gaga, Black Eyed Peas) avec les artistes signés et développés en France : Zazie, Florent Pagny, Calogero, Bénabar, Mika. Ces dernières années, il avait beaucoup misé, avec succès, sur les musiques urbaines avec des nouveaux artistes sortis de l’écurie Universal comme Nekfeu.
Universal Music compte encore aujourd’hui 650 salariés pour 300 millions d’euros de chiffre d’affaires en France, soit la moitié environ de l’ensemble des emplois fixes du secteur. Son successeur, qui a réussi à attirer chez Mercury quelques très gros vendeurs de disque comme Stromae devenue une star internationale ou Louane, meilleure vente en française en 2015, devra prouver et notamment en interne qu’il est capable de succéder à Pascal Nègre et de faire aussi bien avec une notoriété bien moindre. Il devra également batailler ferme pour garder les têtes d’affiche d’Universal, de plus en plus tentés par des carrières autonomes en se contentant de signer de simples accords de distribution avec celles que l’on appelait autrefois des «maisons de disques».
Christophe Alix