Sarkozy dans la fosse Bygmalion

Son audition aura duré près de douze heures. Nicolas Sarkozy est sorti mardi soir du pôle financier auréolé d’une mise en examen pour «financement illégal de campagne». Un coup terrible pour le patron du parti Les Républicains (LR), candidat probable à la primaire qui tente depuis des mois de rassembler les militants derrière son nom. Une semaine plus tôt, Jean-François Copé était sorti du même pôle financier avec le statut de simple «témoin assisté».

Entre les deux hommes, qui s’affrontent depuis des mois, les juges d’instruction parisiens semblent donc avoir tranché. Au départ, pourtant, Bygmalion avait été présentée comme une «affaire Copé». En février 2014, le Point lance l’offensive en accusant celui qui est encore patron de l’UMP d’avoir utilisé l’argent du parti pour sponsoriser la société de conseil en communication Bygmalion, sans doute dans le but de constituer une caisse noire. «Sarkozy a-t-il été volé ?» s’interroge même l’hebdo en une. Mais le scandale naissant rebondit trois mois plus tard, quand Libération révèle l’existence d’un système de fausses factures mis en place pour imputer à l’UMP les dépenses de la campagne de Nicolas Sarkozy pour la présidentielle de 2012 (une ci-contre). L’affaire «Bygmalion» devient celle des comptes de campagne.

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Une autre lecture Une information judiciaire est alors ouverte pour «faux et usage de faux», «abus de confiance» et «tentative d’escroquerie», confiée aux juges Serge Tournaire, Renaud Van Ruymbeke et Roger le Loire. Après un an et demi d’enquête, les magistrats ont désormais une idée assez précise du fonctionnement de cette vaste fraude destinée à dissimuler le dépassement du plafond légal des dépenses de campagne de 22,5 millions d’euros. Des centaines de factures, vraies et fausses, ont été passées au crible. Treize personnes ont depuis été mises en examen, outre Sarkozy, dont les anciens cadres de Bygmalion, des responsables du parti et des membres de l’équipe de campagne. Plusieurs d’entre eux ont reconnu l’existence de la fraude, sans pour autant mouiller directement l’ancien candidat.

Ce dernier a toujours démenti un quelconque rôle dans l’affaire Bygmalion, jurant avoir découvert le nom de la société après l’élection. «L’argument d’une campagne qui dérape est une farce», a même lâché Nicolas Sarkozy en septembre 2015, devant les policiers. Puis à nouveau, le 4 février, sur France 2 : «Jamais je n’ai trahi la confiance des Français, si j’avais eu le moindre doute, je ne serai pas revenu», assure-t-il, renvoyant la responsabilité aux dirigeants de Bygmalion et, de façon plus sournoise, à Jean-François Copé lui-même.

Les juges auront donc fait une autre lecture du dossier. Sarkozy ayant paraphé lui-même ses comptes de campagne, il se porte garant de la sincérité et de la régularité de ses dépenses. L’article 113-1 du code électoral punit en effet d’un an de prison et de 3 750 euros d’amende tout candidat ayant déclaré des «éléments comptables sciemment minorés».

Détail embarrassant Jusqu’où Nicolas Sarkozy savait-il ? L’ancien président a été personnellement informé par son directeur de campagne, Guillaume Lambert, de la dérive financière de ses premiers meetings. Une dérive consignée dans une note datée du 7 mars 2012, qui pointe clairement un risque de dépassement du plafond et interdit toute dépense supplémentaire. Sarkozy a d’abord nié farouchement avoir eu connaissance de cette note. Mais lors de son audition, Guillaume Lambert a confirmé l’en avoir bien informé. «Je ne m’en souviens pas mais c’est possible», a fini par reconnaître Sarkozy devant les policiers.

En fouillant dans les comptes de l’UMP, les enquêteurs sont également tombés sur un détail embarrassant. Une ligne «présidentielle» dans le budget 2012 du parti, qui indique 13,5 millions d’euros de dépenses engagées, alors que seuls 3 millions ont été répercutés dans les comptes de campagne. Un trou de plus de 10 millions d’euros correspondant à des factures de trains, de cars, de meetings et de tracts, qui porterait le coût total de la campagne à plus de 50 millions d’euros. Plus de deux fois le montant légal autorisé.

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Emmanuel Fansten