Primaire de la gauche : Valls va-t-il renverser la table ?

François Hollande doit bientôt sortir du silence sur ses intentions pour 2017. Mais son Premier ministre n’a pas l’intention de se contenter de s’incliner devant la décision présidentielle. Dans un entretien accordé au Journal du dimanche, Manuel Valls a laissé entendre qu’il n’excluait pas complètement de faire partie des candidats à la primaire de la gauche, six ans après sa défaite au précédent scrutin, où il était arrivé en cinquième position avec 5,6 % des voix.

Entre-temps, il a été nommé Premier ministre et s’est fait connaître des Français. Son objectif aujourd’hui : rassembler la gauche et la fédérer. « La gauche doit se réconcilier avec elle-même pour pouvoir se réconcilier avec les Français », déclare le Premier ministre. Car il s’inquiète pour l’avenir de la gauche, face à la montée du discours populiste et conservateur à droite, qui semble séduire une partie croissante des Français. « Face au désarroi, au doute, à la déception, à l’idée que la gauche n’a aucune chance, je veux casser cette mécanique qui nous conduirait à la défaite », annonce Manuel Valls, alors que tous les pronostics voient déjà un second tour entre Les Républicains et le Front national en mai 2017. « Nous pouvons être pulvérisés au soir du premier tour », s’inquiète-t-il, allant jusqu’à affirmer que « la gauche peut mourir ».

Guerre froide avec Hollande

Sauf que l’équation de Valls n’est pas simple : comment « rassembler » son camp en commençant par une traîtrise ? Alors que tout le monde les dit en « guerre froide » depuis plusieurs semaines, Manuel Valls tente de minimiser ses griefs contre François Hollande. « J’ai des rapports de respect, d’amitié, et de loyauté avec le président »,  avance-t-il. « Mais la loyauté n’exclut pas la franchise. Force est de constater qu’au cours de ces dernières semaines, le contexte a changé. La parution du livre de confidences [Un président ne devrait pas dire ça, NDLR] a créé un profond désarroi à gauche. Comme chef de la majorité, ma responsabilité est donc de tenir compte de ce climat. »

Ça, c’est pour la version officielle. En off, le chef du gouvernement se montre beaucoup plus virulent à l’égard de son président : « Si le président pense que, de toute façon, s’il est candidat, je serai derrière lui, que j’irai coller des affiches, parler dans le train, faire des déambulations, là, c’est non ! » aurait ainsi glissé Manuel Valls à des proches, rapporte l’AFP. Alors que la cote de popularité de François Hollande est au plus bas, notamment en raison de son bilan et de ses « confessions » rapportées dans le livre des journalistes du Monde, Valls juge qu’il est la meilleure alternative. Le Premier ministre entend bien sortir de l’ombre du président et a des ambitions au-delà des murs de Matignon.

« Je suis prêt »

« Chacun doit mener ses réflexions en responsabilité. Je prendrai ma décision en conscience. Quoi qu’il arrive, le sens de l’État m’animera toujours », assure Valls, avant de se montrer beaucoup plus direct. La primaire « doit donner un élan, de l’espoir. Il faut se préparer au face-à-face. Je m’y prépare, je suis prêt », annonce-t-il au JDD avec assurance, comme une déclaration de candidature officieuse, au lendemain du coup d’éclat de Claude Bartolone qui a semé la panique dans son camp en plaidant pour que tous les prétendants à une victoire de la gauche participent à la primaire, Macron, Mélenchon, Hollande et… Manuel Valls.

Le suspense prendra bientôt fin, puisque les candidats à la primaire pilotée par le Parti socialiste ont jusqu’au 15 décembre pour se déclarer. Manuel Valls le précise d’ailleurs lui-même : « C’est une question de jours. »

Pour l’heure, sont officiellement déclarés candidats aux primaires citoyennes de la gauche Arnaud Montebourg, Benoît Hamon, Marie-Noëlle Lienemann, François de Rugy et Gérard Filoche. Et bientôt François Hollande ? Rien n’est moins sûr. Ces derniers jours, dans l’entourage du président, des voix ont précisé que le président n’avait jamais clairement dit qu’il participerait à la primaire s’il se lançait dans la course à 2017. L’élimination dès le premier tour de Nicolas Sarkozy à la primaire de la droite est passée par là.

Quand l’entourage de F.#Hollande nous rappelle que le Président n’a jamais dit lui même formellement qu’il participerait à la #Primaire…

— Maryse Burgot (@MaryseBurgot) 25 novembre 2016

Le silence de Hollande

Dans le duel sans merci qui se déroule entre le président et son Premier ministre, François Hollande a lui aussi appelé au rassemblement depuis Madagascar où il assiste au 16e sommet de la Francophonie. « Nous devons montrer ce qu’est la France partout, comment nous devons nous rassembler, quelles que soient les circonstances, quelles que soient les échéances, quelles que soient les épreuves, quels que soient les choix que nous aurons à faire. Nous rassembler, c’est l’essentiel », a déclaré le président de la République dans un discours devant la communauté française de Madagascar.

Le chef de l’État s’est ensuite refusé à tout autre commentaire politique. « Je lis toute la presse, j’entends, je vois », s’est-il borné à affirmer, écartant toute question, que ce soit sur la date de son annonce ou pas de candidature pour 2017, et via la primaire de la gauche ou pas.

Valls, un simple recours selon Najat Vallaud-Belkacem

Il a reçu le soutien appuyé de sa ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem. Invitée au Grand Jury sur RTL/Le Figaro/LCI, elle a jugé que le président et son Premier ministre partageaient « le même bilan, les mêmes valeurs ». « Je crois que l’un ne se présentera pas contre l’autre. Ce n’est pas raisonnable, ce n’est pas envisageable ». Interrogée sur l’interview de Manuel Valls au JDD, elle a apporté un soutien sans faille au chef de l’État : selon elle, le président sortant a été « à la hauteur » pour gouverner « un pays fragilisé par un gouvernement de droite » et dans le contexte des attentats djihadistes. Avant de mettre les points sur les « i » : « Je considère que et François Hollande et Manuel Valls sont des hommes d’État. Je considère aujourd’hui que c’est François Hollande qui a légitimité de se présenter, qu’il a un bon bilan. Mais c’est à lui d’en décider ».

Quant à la tentation de Brutus qui travaille le Premier ministre, elle l’a purement et simplement balayée : « Je retiens de l’action et des propos de Manuel Valls depuis des mois et des mois une solidité et une loyauté et une fidélité qui ne s’est jamais démentie. Y compris dans l’interview que vous mentionnez. » « Dans l’absolu, a-t-elle ajouté, c’est une bonne chose d’avoir un Premier ministre qui porte suffisamment haut les valeurs de la social-démocratie pour se tenir prêt le cas échéant si le président de la République n’y allait pas. Je reste sur cette idée-là que le président de la République et le Premier ministre trouveront un terrain d’entente et que si le président de la République n’y va pas, alors le Premier ministre serait en situation pour y aller ».

Elle a enfin démenti que François Hollande pourrait se présenter sans passer par la case primaire. « À l’origine, je n’étais pas forcément favorable à la primaire à gauche. Pour une raison simple : avec un président sortant, il me paraissait naturel de continuer avec ce président sortant. Maintenant la primaire a été décidée, annoncée, en cours d’organisation, donc non on ne va pas y renoncer ». « On » peut-être, mais François Hollande ? « Il ne cherche pas à s’y soustraire », a assuré cette fidèle du chef de l’État.

Kersaudy – Fillon président ! (2)

Raymond Barre le disait déjà : « C’est toujours le plus imprévu qui est le plus certain ! » Dimanche dernier, l’imprévu a encore frappé, et François Fillon est arrivé bon premier. Comme plus de la moitié des électeurs s’est décidée dans les derniers jours, il est logique que le phénomène ait largement échappé aux sondeurs, et les motivations de ce corps électoral émergent n’ont pas encore été éclaircies. Mais, une fois prise en compte la volonté manifeste d’éviter une nouvelle candidature de Nicolas Sarkozy, il reste au moins trois hypothèses pour expliquer ce report massif des voix en faveur de François Fillon : d’une part, en le voyant et en l’écoutant, les électeurs ont dû être frappés par le contraste absolu avec le président Hollande ; d’autre part, ayant pris en compte la situation économique et sociale désastreuse de la France, ils ont pu estimer que des réformes radicales s’imposaient davantage que des remèdes homéopathiques ; enfin, sachant depuis quelque temps que le programme de François Fillon avait de longue date inspiré ses adversaires, ils ont pu préférer l’original à la copie.

Terrain inconnu

Pour ce second tour qui s’annonce, on sent Alain Juppé plutôt mal à l’aise : habitué au rôle de favori, il semble s’adapter assez mal à celui de challenger – d’autant plus mal que l’écart des voix a dû être pour lui une très mauvaise surprise. Mais, dès lors, ses conseillers l’ont exhorté à attaquer François Fillon par tous les moyens, et c’est pour lui un exercice manifestement artificiel, dans lequel il se montre plutôt maladroit. On peut le comprendre : outre le fait qu’il est difficile d’échanger en un tournemain le masque du vieux sage contre un bandeau de kamikaze, la similitude de son programme avec celui de son concurrent lui laisse des fenêtres de tir très étroites, et, à la différence du blitzkrieg, le débat au sein d’un même camp est une manœuvre dans laquelle l’attaquant est bien plus vulnérable que le défenseur.

Un exercice périlleux

De fait, on relève d’emblée de nombreuses failles dans les angles d’attaque : accuser à la fois François Fillon d’être conservateur et trop dur dans ses réformes, c’est déjà contradictoire.  Les termes d’ultralibéral, ultraconservateur ou ultra-catholique paraissent trop manifestement empruntés à l’arsenal rhétorique de la gauche pour convaincre des électeurs de droite. Le procès en « thatchérisme » aurait pu impressionner au milieu des années 1980, lorsque Margaret Thatcher – qui avait mis au pas les syndicats et vaincu les dictateurs argentins – faisait l’objet d’une détestation irraisonnée dans notre pays ; mais, trente ans plus tard, ce genre de procès ne peut impressionner personne, d’autant que les Français qui étaient déjà nés à cette époque voient mal le rapport avec le programme de François Fillon.

Sur la fin des 35 heures, la TVA, l’abolition de l’ISF, la sécurité, l’immigration et la politique étrangère, les positions sont si proches que toute tentative de guérilla à la marge paraît dérisoire. C’est aussi le cas de la loi sur l’IVG, qui peut difficilement servir de massue dès lors que Fillon déclare haut et fort avoir voté en sa faveur et ne pas songer à l’abroger. L’argument du soutien de l’extrême droite pour tenter de fasciser l’adversaire est une vieille ruse du Parti communiste recyclée par François Mitterrand, qui paraît aussi démodée qu’inopérante au sein de la droite modérée. Tout compte fait, le seul os à ronger reste le nombre de postes de fonctionnaire que l’on souhaite supprimer, mais on voit bien que tout chiffrage anticipé reste purement artificiel : il faudra être aux commandes et examiner de près tous les postes de la fonction publique pour déterminer la quantité d’emplois superflus qui se dissimulent derrière les emplois nécessaires.

Désespoir de cause

Alain Juppé semble bien conscient de tout cela, puisqu’il a recours à deux recettes généralement utilisées en désespoir de cause : la victimisation, qui lui permet de se poser en victime des attaques effectivement immondes dont il fait l’objet sur certains réseaux sociaux ; mais le problème, en l’occurrence, est qu’il est bien en peine de les attribuer à son adversaire tant elles sont en décalage avec le style policé de François Fillon. L’autre recette est l’insinuation : ne voulant pas assumer directement la responsabilité des attaques contre son concurrent par peur de se tirer une balle dans le pied, Alain Juppé a recours à des artifices tels que « J’ai entendu… », « Il paraît que… », « On m’a dit que », « Il doit clarifier sa position », etc. Tout cela aurait pu fonctionner face à d’autres adversaires, mais, devant un François Fillon terriblement flegmatique, qui méprise la basse politique et n’a pas varié dans son programme depuis deux ans, même ces ultimes techniques risquent de se révéler inopérantes.

Ma folle soirée avec François Fillon

Un appartement bourgeois du boulevard Saint-Germain, tout près de l’Assemblée nationale ; un petit hall au rez-de-chaussée, puis un long couloir moquetté qui donne à droite et à gauche sur des pièces cossues et blanches, ornées de moulures. C’est là que François Fillon a établi son QG de campagne. Il reste encore, posés un peu partout, des tracts de la campagne, et au mur une immense affiche avec les visages et les CV des petites mains qui, depuis des mois, font tourner la machine Fillon. Ils sont d’ailleurs là, dans une salle ambitieusement baptisée war room : une petite dizaine de jeunes gens bien peignés, certains cravatés, et quelques jeunes filles bien mises. Studieux, ces fillonistes en herbe entrent dans leurs Mac portables les résultats de la soirée qui arrivent par SMS. Vers 19 h 30, le directeur de campagne Patrick Stéfanini est allé à la rencontre des journalistes tassés dans un café voisin, Le Dauphine. Il leur a expliqué le dispositif du soir pour anticiper les résultats, une sorte de sondage portant sur les 100 premiers bulletins de 15 bureaux de vote. Stéfanini est, à son habitude, impénétrable. « La nuit sera longue », observe-t-il.

Pourtant, dans la war room, les résultats concordent. Fillon est premier partout. « Fillon 54, Juppé 40, Sarkozy 23, BLM (pour Bruno Le Maire) 12… », égrène une jeune fille, l’œil sur son téléphone portable. Dans l’étroit couloir, l’excitation monte. Gérard Larcher, le président du Sénat, a la mine joviale et rubiconde. Il file on ne sait où en embrassant comme du bon pain toutes les dames qu’il croise. Le conseiller santé de Fillon exulte : chez lui, son champion a écrasé la concurrence. Une blonde élue de l’Oise est aux anges : le député de Paris arrive en tête malgré l’influence, dans son département, du sarkozyste Éric Woerth. « Incroyable, incroyable », dit-elle, les yeux rivés sur BFM TV. Mais on ne trinque pas : rien n’a été prévu, il faut se contenter des gobelets en plastique de la fontaine à eau, et de quelques cafés.

« Poisson fait cinq fois plus que Copé ! »


Explosion de joie à l’annonce des premiers résultats de la primaire de la droite, qui donnent François Fillon largement en tête. © Michel Revol

Et c’est l’explosion. Lorsque, sur l’écran télé, Thierry Solère annonce la première place de François Fillon, la war room exulte. Les jeunes gens se lèvent et applaudissent, on s’embrasse et on se congratule, et tout le monde de scander « Fillon, Fillon ! ». Le bruit est tel que personne n’entend la suite des résultats. On ne connaît que le score de Fillon, le reste des paroles de Thierry Solère est inaudible. Il faut attendre quelques minutes pour que les résultats apparaissent à l’écran. Nouvelle liesse. L’écart avec Alain Juppé impressionne ; Fillon a fait le trou. « Ça veut dire qu’il est président de la République ! » ose une jeune femme très brune en ouvrant tout rond ses yeux comme impressionnée par sa propre déduction. Et quand la salle découvre la capilotade de Jean-François Copé, l’ennemi juré, on se lâche. « Tu te rends compte, Poisson fait cinq fois plus que Copé ! » beugle l’un à l’oreille de son voisin. Dans une autre pièce, devant un petit poste de télévision, on taquine Bruno Le Maire. Un temps voisin de sondages de Fillon, « l’homme du renouveau » s’est effondré ce dimanche soir. Il vient d’annoncer son soutien à François Fillon. « Avec qui ? » ironise l’un, gobelet à la main.

Tout au bout du long couloir, on met la dernière main à la salle de presse, plutôt exiguë. « Enlevez les chaises », ordonne l’organisateur en chef en prévision d’un afflux de journalistes. Juste à côté, dans l’antichambre du bureau de François Fillon, l’ancien ministre François Goulard tente de tirer les premières leçons du raz-de-marée. « Les gens ont adhéré à Juppé par anti-sarkozisme, mais quand ils ont vu François Fillon lors des débats, ils se sont reportés sur lui. Et un mouvement de ce genre en fin de campagne est souvent inarrêtable », dit cet élu filloniste – l’un des rares à être présent dans le QG dimanche soir.

Haie d’honneur

FRANCE-VOTE-PRIMARIES-RIGHTWING © THOMAS SAMSON THOMAS SAMSON / AFPFRANCE-VOTE-PRIMARIES-RIGHTWING © THOMAS SAMSON THOMAS SAMSON / AFP
Haie d’honneur pour François Fillon à son arrivée à son QG parisien.   © THOMAS SAMSON THOMAS SAMSON / AFP

Il est 21 h 50. Le QG s’agite à nouveau. Le couloir se remplit. Comme un seul homme, les quelques élus et la foule des soutiens se dirigent vers le hall puis s’alignent le long du mur. François Fillon est annoncé, une haie d’honneur se forme. On s’embrasse encore, on se tape dans le dos, on se dit « Ça va ? » comme une question idiote parce que, évidemment, ça va, très bien même. « C’est le plus beau jour de mon existence ! » rigole une dame d’un certain âge, connue ici comme le loup blanc.

Et il arrive. Une bousculade monstre dans le hall, des caméras et des photographes partout – la meute a fini par entrer dans le QG. François Fillon, veste matelassée et mine bronzée, fend la foule en souriant. Il s’enferme dans son bureau durant une trentaine de minutes. Son discours était initialement prévu à 22 h 30, il ne sera retardé que de cinq minutes, preuve que le Sarthois a été tôt convaincu de sa victoire. Il entre dans la petite salle de presse bondée. L’accompagnent Gérard Larcher, revenu au QG, les députés Gilles Carrez et Hervé Novelli, le sénateur de Vendée Bruno Retailleau, qui a tombé sa parka Vendée Globe… Pas vraiment des têtes d’affiche, mais, ce soir, ce sont eux les vainqueurs.

Cortège funeste

« On me donne le signal ? » demande Fillon aux deux caméras qui lui font face. Et il déroule un discours sobre, où il parle de « vague », d’ « espoir », d’un « peuple libre », et réserve une « pensée particulière » à Nicolas Sarkozy. Juste avant, l’ex-chef de l’État défait avait annoncé qu’il voterait pour son ex-Premier ministre au deuxième tour. L’annonce avait été suivie d’applaudissement dehors, boulevard Saint-Germain, où sont toujours massés des dizaines de supporteurs, mais aussi dans le bureau où s’étaient enfermés François Fillon et ses lieutenants.

Il est près de 22 h 30 quand le vainqueur du soir sort de son QG, sous une pluie légère et froide. Toujours escorté par un essaim de caméras et de journalistes, il parcourt la cinquantaine de mètres qui le séparent du café où l’attendent ses militants. Il traverse la rue de Lille, à quelques pas du bureau de Jacques Chirac. Quelques policiers font la circulation sur le boulevard, une poignée de badauds se prend en photo devant le café où pénètre Fillon. Il commande une bière, la boit à petites gorgées en discutant avec de jeunes soutiens. À l’extérieur du café, les « Fillon président » continuent.

Pendant ce temps, une centaine de mètres plus loin sur le boulevard Saint-Germain, un cortège funeste chemine. Le pardessus relevé, la tête dans les épaules, Jean-François Copé se rend à son QG tout proche, sous les gouttes. À ses côtés, son épouse, derrière lui, une dizaine d’amis comme Michèle Tabarot, députée des Alpes-Maritimes. Deux-trois passants les filment avec leur téléphone portable. Jean-François Copé sourit. Derrière lui, sur le boulevard, on entend encore les cris de joie des vainqueurs du soir.

Copé qui va à son qg avec son épouse bd st germain, en passant a 50 m de Fillon célébrant sa victoire dans un bar… pic.twitter.com/j5z0ii3jer

— Michel Revol (@michelrevol) 20 novembre 2016

La nouvelle droite de François Fillon


Depuis quelques semaines, la géographie électorale est en train d’accoucher d’un nouvel ensemble : la droite Fillon. On croyait les choses définitivement figées idéologiquement entre deux représentations de la société et du monde, a priori inconciliables, qui ont pour incarnation Alain Juppé et Nicolas Sarkozy. Deux droites françaises, aux forces plus ou moins égales. Ouverte et multiculturelle ; identitariste et autoritaire. Sur l’économie, elles peuvent s’entendre, mais là n’est pas, pour elles, l’essentiel. Elles sont d’abord des attitudes à avoir, des discours à tenir face à la mondiali…

Un débat qui part en quenouille !

Dieu que David Pujadas et Jean-Pierre Elkabbach ont eu du mal à maîtriser ce troisième et ultime débat de la primaire de la droite ! Les sept candidats n’avaient aucune envie de se laisser dicter le tempo des questions qui, comme l’a dit François Fillon, voulait manifestement obéir aux règles du spectacle télévisé. Spectacle il y a eu cependant : celui de la rébellion des candidats contre les intervieweurs.

Nicolas Sarkozy fut le premier à rompre ses chaînes quand David Pujadas lui a demandé de s’expliquer sur les lourdes accusations proférées par Ziad Takieddine concernant le financement prétendument libyen de sa campagne en 2007. « Quelle indignité ! Nous sommes sur le service public », s’indigna l’ancien chef de l’État, qualifiant de « honte » qu’on puisse accorder le moindre crédit à cet intermédiaire sulfureux « qui a fait de la prison ».

Sarkozy avait donné le ton et, si les échanges qui ont suivi sur la situation internationale ont été de bonne qualité, les électeurs de la droite et du centre n’ont pas forcément appris grand-chose pour peu qu’ils aient aussi suivi les deux précédents débats télévisés. Ce troisième débat a été une redite sur la question syrienne, reprofilant les deux lignes qui s’affrontent : ceux, comme Fillon ou Copé, qui veulent épouser la stratégie de Poutine, quitte à conforter un moment el-Assad, et ceux, comme Juppé ou Sarkozy, qui considèrent qu’el-Assad est une part non négligeable du problème syrien.

Un homme politique est ce qu’il fait

Emmanuel Macron eut droit à sa petite volée de bois vert de la part de Sarkozy quand ce dernier souligna sa « traîtrise » à François Hollande : « Ça fait cinq ans qu’il est en accord avec lui et cinq heures qu’il est en désaccord. Qu’est-ce qu’il viendrait faire chez nous ? » Pour Juppé, Macron, « c’est le problème de la gauche ». NKM ferma la porte sèchement : « Un homme politique n’est pas seulement ce qu’il dit. Un homme politique est ce qu’il fait. »

Jean-Frédéric Poisson tenta de faire entendre sa voix souverainiste au milieu de cet aréopage d’européens plus ou moins embêtés. Juppé insista pour dire qu’il ne fallait pas faire entrer la Turquie en Europe. Sarkozy l’appuya dans un consensus. Les oreilles de Jacques Chirac sifflèrent quand Sarkozy rappela que l’ancien président y était favorable…

Bruno Le Maire s’empoigna avec NKM sur la nécessité d’un nouveau traité européen qu’il souhaite soumettre au référendum. « On n’a pas besoin d’un président sondeur », siffla l’ancienne ministre de l’Environnement. L’éducation vit également ce clivage se reconstituer entre NKM qui ne souhaite pas que les collégiens soient orientés trop jeunes et Bruno Le Maire qui propose de mettre fin au « collège unique » tout en se défendant de « trier les enfants ».

À plusieurs reprises, Nicolas Sarkozy fut habile à intercepter la parole quand ce n’était pas son tour. David Pujadas avait du mal à faire respecter l’ordre, d’autant qu’il ne permettait pas aux sept candidats de répondre à la même question… Très vite, chacun décida donc de répondre à la question qu’il souhaitait.

39 heures payées 35, ce n’est pas juste

Mais l’émission vira à la rébellion collective quand, dans la dernière partie, David Pujadas entama ce qui devait être une séance d’interpellation plus directe entre les candidats. Fillon fut appelé à porter le premier coup. Il refusa purement et simplement cette règle, préférant développer ses idées sans forcément tomber dans le pugilat.

C’est finalement Alain Juppé qui accepta de monter sur le ring à propos de la suppression, à ses yeux illusoire, de 500 000 fonctionnaires dans le programme de Fillon. Pour Juppé, c’est une chimère qui empêchera en outre de recruter les infirmières dont nous avons cruellement besoin. François Fillon objecta que sa réforme passait par l’allongement de la durée du travail à 39 heures, faute de quoi elle ne pouvait être comprise. Juppé n’en fut pas convaincu et reçut l’appui de Nicolas Sarkozy qui se mit à défendre le salaire des fonctionnaires. « 39 heures payées 35, ce n’est pas juste », indiqua l’ancien président adepte du « travailler plus pour gagner plus ».

La confusion régna encore un moment lorsque chacun prit la parole dans le désordre. Copé expliqua qu’il fallait la lui donner, car il venait d’être insulté. NKM, encore elle, cingla : « S’il faut être insultée pour avoir la parole. » Elle mit les rieurs de son côté. Sarkozy compléta, hilare : « Dans ce cas, j’aurais dû avoir souvent la parole. »

Monsieur Elkabbach, je ne vous permets pas !

Finalement, ce dernier débat conforta chacun dans son positionnement : Juppé en technicien sage, Fillon en maîtrise digne, Copé sabre au clair sur le régalien, NKM vive et portée sur des sujets d’avenir, Poisson cultivant sa différence. Une fois de plus, Bruno Le Maire fut souvent attaqué sur ses propositions. Mais il eut un beau geste d’orgueil face à Jean-Pierre Elkabbach qui, en début d’émission, le traita avec mépris, considérant que sa défaite était acquise. « Monsieur Elkabbach, je ne vous permets pas ! » tonna Le Maire. « On en reparlera lundi », glissa le journaliste qui venait de sortir de son rôle… Une faute qui entacha d’emblée ce troisième débat.

Primaire : pourquoi Léa Salamé n'interviendra pas dans le débat

Elle sera la grande absente du dernier débat. Léa Salamé n’arbitrera pas l’ultime confrontation diffusée ce soir sur France 2 (où officie la journaliste), Europe 1 et à suivre sur Le Point.fr.Le Parisien révèle les raisons de cette absence.

En plus de la chaîne publique, Léa Salamé mène chaque matin une interview sur France Inter. Europe 1, rivale d’Inter, n’a pas souhaité que la journaliste vienne interroger les sept candidats. Réciproquement, France Inter n’aurait pas vu d’un bon œil que l’une de ses têtes d’affiche de la matinale soit présente dans un programme d’Europe 1. C’est donc Nathalie Saint-Cricq, la chef du service politique, qui sera présente. Ce n’est pas une nouveauté. La journaliste était présente dans la précédente émission politique de la chaîne Des paroles et des actes.

Elkabbach a bataillé

Europe 1 a dû également trancher. Selon nos confrères du Parisien, une bataille a eu lieu entre Jean-Pierre Elkabbach, le taulier de l’interview politique, et Thomas Sotto, le jeune animateur de la matinale. « Les deux avaient envie de participer à ce débat très attendu, c’est vrai. On a fait le choix de la légitimité en privilégiant notre intervieweur politique », explique au quotidien Fabien Namias, le patron de la station.

Un double choix qui n’a pas plu à certains candidats qui n’ont pas apprécié un casting « old school », suggérant qu’avec David Pujadas, le trio avait déjà couvert la présidentielle 2002. Ils auraient préféré des intervenants plus jeunes. Seule innovation : la présence d’Hervé Favre, de La Voix du Nord. Enfin, comme le note Le Parisien, le choix du partenariat entre France 2 et Europe 1 a surpris puisque la chaîne publique a l’habitude de s’associer à Radio France. Ce qui aurait évité de placer Léa Salamé sur la touche.

Affaire Takieddine : Sarkozy n'a que du « mépris » pour Mediapart

Nicolas Sarkozy contre-attaque. Il a dit mercredi son « mépris » à l’égard de Mediapart après de nouvelles déclarations, sur le site d’information, de Ziad Takieddine sur un financement libyen de sa campagne de 2007. « Je n’ai que mépris pour cette officine qui depuis des années essaye sans succès de me salir, du procès Bettencourt à l’affaire Kadhafi pendant la campagne présidentielle de 2012 », déclare le candidat à la primaire de la droite au Figaro.

Une manoeuvre nauséabonde

Dans un entretien diffusé mardi par Mediapart, Ziad Takieddine a affirmé avoir remis à l’ancien président et à son camp cinq millions d’euros en espèces, « dans des valises », provenant du régime Kadhafi. L’homme d’affaires franco-libanais avait déjà accusé Nicolas Sarkozy d’avoir perçu des fonds libyens lors de la campagne présidentielle de 2007. « A chaque fois, ce sont des informations sans fondement qui sont démenties par les faits », souligne l’ex-chef de l’Etat. « Monsieur Takieddine a dit à la justice ne pas m’avoir rencontré depuis 2003, et maintenant il invente une nouvelle version. C’est une manoeuvre nauséabonde pour interférer dans la primaire de la droite et du centre », dénonce-t-il.

« J’opposerai donc le mépris à ces injures et à cette grossière manipulation. La justice en sera saisie », prévient Nicolas Sarkozy.

Alain Delon invité surprise d'Alain Juppé

C’est l’invité surprise de la soirée et les juppéistes ne sont pas peu fiers de leur prise. L’acteur Alain Delon, qui vient de fêter ses 81 ans, sera présent ce soir au Zénith pour l’avant-dernier meeting du candidat à la primaire LR Alain Juppé (71 ans).

Déçu par Nicolas Sarkozy, dont il était proche lors des dernières campagnes, l’acteur culte du cinéma français, dont les liens d’amitié avec Jean-Marie Le Pen ne sont pas un secret, a décidé de soutenir le maire de Bordeaux pour 2017. « C’est lui qui m’a quitté, ce n’est pas moi, disait-il de Sarkozy, dans l’émission de Léa Salamé, Stupéfiant. Il m’a largué, je ne sais même plus si j’existe à ses yeux, alors que voulez-vous que je fasse, que j’aille en rampant le chercher ? »

Pour la Sofrès, Juppé s'effondre, Fillon s'envole et Sarkozy progresse

La dernière ligne droite de la primaire de la droite et du centre promet d’être très, très disputée ! Le dernier sondage Sofrès-Kantar-One Point pour LCI, RTL et Le Figaro rebat largement les cartes. Dans une hypothèse de 3,9 millions de votants (celle que privilégie l’institut), Alain Juppé obtiendrait au premier tour 36 % des voix (- 6), Nicolas Sarkozy 30 % (+ 2) et François Fillon 18 (+ 7). Bruno Le Maire, qui était il y a quatre semaines à égalité avec l’ancien Premier ministre, pointe désormais à 9 %, c’est-à-dire avec la moitié du score de son principal adversaire ! Cela montre à quel point la poussée de François Fillon est brutale. Dans le cas où il n’y aurait que 2,3 millions de votants, les écarts sont encore plus serrés en tête. Juppé obtiendrait 35 % des voix (- 6), Nicolas Sarkozy 34 (+ 2) et François Fillon s’envole en doublant son score à 20 % des voix (+ 10). Dans tous les cas, le recul d’Alain Juppé est saisissant. Il est temps pour lui que cette campagne se termine.

Chez les sympathisants LR, Sarkozy conforte son avance et caracole en tête avec 42 % d’intentions de vote (+ 2), devant le maire de Bordeaux qui perd 4 points (28 %) et le député de Paris qui progresse de 9 points à 20 %. Fillon chipe la deuxième place à Juppé sur les seuls votes des sympathisants du Front national. Dans cette catégorie, l’ancien président obtient également 42 %, Fillon 18 % et Juppé 16 %.

Un second tour plus indécis

Au second tour, l’avance d’Alain Juppé s’estompe. Dans une configuration où 3,9 millions d’électeurs se déplaceraient, il capterait 59 % des votants (- 3 par rapport au mois d’octobre), tandis que l’ancien président de la République monte à 41 %. L’écart diminue encore dans une hypothèse restreinte où seulement un peu plus de 2 millions de votants se rendraient aux urnes. Dans ce cas, Alain Juppé l’emporterait avec 57 % des voix. Sans surprise, le maire de Bordeaux profite d’un très fort report des électeurs de la gauche et du centre qui prendraient part au vote. Et 88 % des sympathisants de gauche se porteraient sur lui, 86 % de ceux du MoDem et de l’UDI. En revanche, chez les Républicains (53 % + 1) et au FN (61 %), c’est Nicolas Sarkozy qui arrive en tête. La participation à cette primaire de la droite et du centre sera donc le juge de paix du premier comme du second tour… Le troisième débat qui opposera jeudi 17 novembre les huit candidats sera certainement décisif car, à 15 jours du second tour, rien n’est joué chez les candidats du « Big Three » !

François Hollande a parlé à Donald Trump

Après une allocution glaciale, un communiqué froid, François Hollande a discuté avec le président élu Donald Trump. Selon le communiqué de l’Élysée, la conversation téléphonique a duré sept à huit minutes et s’est déroulée « dans de bonnes conditions ». Les deux dirigeants ont « évoqué les sujets communs sur lesquels ils sont convenus de travailler pour clarifier les positions : la lutte contre le terrorisme, l’Ukraine, la Syrie, l’Irak et l’accord de Paris », a précisé l’entourage du président français. Ils ont la « volonté de travailler en commun ». Ils ont également « rappelé l’histoire et les valeurs que les deux pays ont en commun, les relations d’amitié entre la France et les États-Unis », a-t-on ajouté de même source.

Franchise et clarté

En marge des cérémonies du 11 novembre, le président français avait souligné vendredi matin que son « devoir, c’est de faire que nous ayons des relations, les meilleures, mais sur la base de la franchise et de la clarté ». « J’aurai à clarifier et faire clarifier des positions, nous devons nous parler franchement », avait aussi fait valoir François Hollande au sujet du président élu. Il avait rappelé « l’amitié longue » qui unit les deux pays. « Je n’oublie pas aussi ce qu’était la solidarité du peuple américain quand nous avons été frappés le 13 novembre, mais aussi en janvier après Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher et le 14 juillet. À chaque fois, le peuple américain a été à nos côtés, nos deux peuples sont très liés », a fait valoir Hollande.

Le chef de l’État, qui ne cachait pas depuis plusieurs mois sa préférence pour la démocrate Hillary Clinton et dénonçait régulièrement « les excès » de son adversaire républicain, avait salué sans chaleur mercredi l’élection du milliardaire populiste en évoquant l’ouverture d’une « période d’incertitude ».

Flou sur le terrorisme

Sur de nombreux sujets, dans lesquels Paris est impliqué au premier chef, Donald Trump a adopté des positions soit à contre-courant, soit très floues. Il avait ainsi annoncé en mai son intention d’« annuler » le traité de Paris sur le climat, décroché de haute lutte en décembre 2015, et qualifié le réchauffement climatique de « canular ». Sur le Moyen-Orient, ravagé par les guerres, et la lutte contre le terrorisme, incarné par l’organisation djihadiste État islamique, Donald Trump est jusqu’à présent resté flou.

François Hollande a très vite exprimé sa volonté d’engager « sans tarder une discussion avec la nouvelle administration américaine », précisant qu’il le ferait « avec vigilance et franchise, car certaines positions prises par Donald Trump pendant la campagne américaine doivent être confrontées aux valeurs et aux intérêts que nous partageons avec les États-Unis ».

Ressentiment

Les relations franco-américaines, parfois houleuses, voire tendues, sont restées jusqu’à aujourd’hui marquées du sceau officiel de l’« amitié » et de l’« alliance ». Après la grave crise de 2003 provoquée par l’intervention américaine en Irak, vivement contestée par la France, les relations entre Paris et Washington s’étaient apaisées. L’accession de Nicolas Sarkozy à la présidence en 2007 avait marqué un virage atlantiste prononcé, avec notamment la réintégration de la France dans le commandement militaire intégré de l’Otan.

Sous la présidence Hollande, les relations avec les États-Unis sont restées empreintes d’un ressentiment, celui d’avoir été lâché en rase campagne en 2013, lorsque le président Barack Obama a abandonné le projet de frappes militaires contre le régime syrien, accusé d’avoir mené une attaque à l’arme chimique. Les tensions sont aussi apparues dans les négociations sur le nucléaire iranien. En même temps, la France est un des principaux contributeurs de la coalition anti-djihadiste menée par les États-Unis et les deux pays collaborent dans la lutte antiterroriste au Sahel.