Ma folle soirée avec François Fillon

Un appartement bourgeois du boulevard Saint-Germain, tout près de l’Assemblée nationale ; un petit hall au rez-de-chaussée, puis un long couloir moquetté qui donne à droite et à gauche sur des pièces cossues et blanches, ornées de moulures. C’est là que François Fillon a établi son QG de campagne. Il reste encore, posés un peu partout, des tracts de la campagne, et au mur une immense affiche avec les visages et les CV des petites mains qui, depuis des mois, font tourner la machine Fillon. Ils sont d’ailleurs là, dans une salle ambitieusement baptisée war room : une petite dizaine de jeunes gens bien peignés, certains cravatés, et quelques jeunes filles bien mises. Studieux, ces fillonistes en herbe entrent dans leurs Mac portables les résultats de la soirée qui arrivent par SMS. Vers 19 h 30, le directeur de campagne Patrick Stéfanini est allé à la rencontre des journalistes tassés dans un café voisin, Le Dauphine. Il leur a expliqué le dispositif du soir pour anticiper les résultats, une sorte de sondage portant sur les 100 premiers bulletins de 15 bureaux de vote. Stéfanini est, à son habitude, impénétrable. « La nuit sera longue », observe-t-il.

Pourtant, dans la war room, les résultats concordent. Fillon est premier partout. « Fillon 54, Juppé 40, Sarkozy 23, BLM (pour Bruno Le Maire) 12… », égrène une jeune fille, l’œil sur son téléphone portable. Dans l’étroit couloir, l’excitation monte. Gérard Larcher, le président du Sénat, a la mine joviale et rubiconde. Il file on ne sait où en embrassant comme du bon pain toutes les dames qu’il croise. Le conseiller santé de Fillon exulte : chez lui, son champion a écrasé la concurrence. Une blonde élue de l’Oise est aux anges : le député de Paris arrive en tête malgré l’influence, dans son département, du sarkozyste Éric Woerth. « Incroyable, incroyable », dit-elle, les yeux rivés sur BFM TV. Mais on ne trinque pas : rien n’a été prévu, il faut se contenter des gobelets en plastique de la fontaine à eau, et de quelques cafés.

« Poisson fait cinq fois plus que Copé ! »


Explosion de joie à l’annonce des premiers résultats de la primaire de la droite, qui donnent François Fillon largement en tête. © Michel Revol

Et c’est l’explosion. Lorsque, sur l’écran télé, Thierry Solère annonce la première place de François Fillon, la war room exulte. Les jeunes gens se lèvent et applaudissent, on s’embrasse et on se congratule, et tout le monde de scander « Fillon, Fillon ! ». Le bruit est tel que personne n’entend la suite des résultats. On ne connaît que le score de Fillon, le reste des paroles de Thierry Solère est inaudible. Il faut attendre quelques minutes pour que les résultats apparaissent à l’écran. Nouvelle liesse. L’écart avec Alain Juppé impressionne ; Fillon a fait le trou. « Ça veut dire qu’il est président de la République ! » ose une jeune femme très brune en ouvrant tout rond ses yeux comme impressionnée par sa propre déduction. Et quand la salle découvre la capilotade de Jean-François Copé, l’ennemi juré, on se lâche. « Tu te rends compte, Poisson fait cinq fois plus que Copé ! » beugle l’un à l’oreille de son voisin. Dans une autre pièce, devant un petit poste de télévision, on taquine Bruno Le Maire. Un temps voisin de sondages de Fillon, « l’homme du renouveau » s’est effondré ce dimanche soir. Il vient d’annoncer son soutien à François Fillon. « Avec qui ? » ironise l’un, gobelet à la main.

Tout au bout du long couloir, on met la dernière main à la salle de presse, plutôt exiguë. « Enlevez les chaises », ordonne l’organisateur en chef en prévision d’un afflux de journalistes. Juste à côté, dans l’antichambre du bureau de François Fillon, l’ancien ministre François Goulard tente de tirer les premières leçons du raz-de-marée. « Les gens ont adhéré à Juppé par anti-sarkozisme, mais quand ils ont vu François Fillon lors des débats, ils se sont reportés sur lui. Et un mouvement de ce genre en fin de campagne est souvent inarrêtable », dit cet élu filloniste – l’un des rares à être présent dans le QG dimanche soir.

Haie d’honneur

FRANCE-VOTE-PRIMARIES-RIGHTWING © THOMAS SAMSON THOMAS SAMSON / AFPFRANCE-VOTE-PRIMARIES-RIGHTWING © THOMAS SAMSON THOMAS SAMSON / AFP
Haie d’honneur pour François Fillon à son arrivée à son QG parisien.   © THOMAS SAMSON THOMAS SAMSON / AFP

Il est 21 h 50. Le QG s’agite à nouveau. Le couloir se remplit. Comme un seul homme, les quelques élus et la foule des soutiens se dirigent vers le hall puis s’alignent le long du mur. François Fillon est annoncé, une haie d’honneur se forme. On s’embrasse encore, on se tape dans le dos, on se dit « Ça va ? » comme une question idiote parce que, évidemment, ça va, très bien même. « C’est le plus beau jour de mon existence ! » rigole une dame d’un certain âge, connue ici comme le loup blanc.

Et il arrive. Une bousculade monstre dans le hall, des caméras et des photographes partout – la meute a fini par entrer dans le QG. François Fillon, veste matelassée et mine bronzée, fend la foule en souriant. Il s’enferme dans son bureau durant une trentaine de minutes. Son discours était initialement prévu à 22 h 30, il ne sera retardé que de cinq minutes, preuve que le Sarthois a été tôt convaincu de sa victoire. Il entre dans la petite salle de presse bondée. L’accompagnent Gérard Larcher, revenu au QG, les députés Gilles Carrez et Hervé Novelli, le sénateur de Vendée Bruno Retailleau, qui a tombé sa parka Vendée Globe… Pas vraiment des têtes d’affiche, mais, ce soir, ce sont eux les vainqueurs.

Cortège funeste

« On me donne le signal ? » demande Fillon aux deux caméras qui lui font face. Et il déroule un discours sobre, où il parle de « vague », d’ « espoir », d’un « peuple libre », et réserve une « pensée particulière » à Nicolas Sarkozy. Juste avant, l’ex-chef de l’État défait avait annoncé qu’il voterait pour son ex-Premier ministre au deuxième tour. L’annonce avait été suivie d’applaudissement dehors, boulevard Saint-Germain, où sont toujours massés des dizaines de supporteurs, mais aussi dans le bureau où s’étaient enfermés François Fillon et ses lieutenants.

Il est près de 22 h 30 quand le vainqueur du soir sort de son QG, sous une pluie légère et froide. Toujours escorté par un essaim de caméras et de journalistes, il parcourt la cinquantaine de mètres qui le séparent du café où l’attendent ses militants. Il traverse la rue de Lille, à quelques pas du bureau de Jacques Chirac. Quelques policiers font la circulation sur le boulevard, une poignée de badauds se prend en photo devant le café où pénètre Fillon. Il commande une bière, la boit à petites gorgées en discutant avec de jeunes soutiens. À l’extérieur du café, les « Fillon président » continuent.

Pendant ce temps, une centaine de mètres plus loin sur le boulevard Saint-Germain, un cortège funeste chemine. Le pardessus relevé, la tête dans les épaules, Jean-François Copé se rend à son QG tout proche, sous les gouttes. À ses côtés, son épouse, derrière lui, une dizaine d’amis comme Michèle Tabarot, députée des Alpes-Maritimes. Deux-trois passants les filment avec leur téléphone portable. Jean-François Copé sourit. Derrière lui, sur le boulevard, on entend encore les cris de joie des vainqueurs du soir.

Copé qui va à son qg avec son épouse bd st germain, en passant a 50 m de Fillon célébrant sa victoire dans un bar… pic.twitter.com/j5z0ii3jer

— Michel Revol (@michelrevol) 20 novembre 2016