Vrai/faux : la désindustrialisation enfin enrayée ?

« La désindustrialisation n’est pas une fatalité. » En visite jeudi dans l’usine de semi-conducteurs X-Fab (ex-Altis, ex-IBM), Manuel Valls a tenu un discours résolument optimiste après le coup de tonnerre de l’élection de Donald Trump aux États-Unis. Sur ce site moderne à forte valeur ajoutée qui vient d’être repris par le groupe allemand après un passage en redressement judiciaire, le Premier ministre a estimé que le gouvernement avait « inversé la tendance » de la désindustrialisation en France.

L’emploi encore en déclin

Qu’en est-il ? Les chiffres de l’emploi industriel publiés le matin même par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) semblent démentir cette affirmation. Au troisième trimestre, l’emploi a continué à reculer dans l’industrie de 0,3 %, soit 9 100 destructions d’emploi. La tendance est ininterrompue depuis début 2001, soit 62 trimestres consécutifs dans le rouge.

Si la tendance sur l’emploi est encore mauvaise, la compétitivité de l’industrie française se redresse pourtant, en tout cas lorsqu’on regarde la compétitivité par les coûts. En 2015, le coût horaire de la main-d’œuvre dans l’industrie est repassé sous la barre du coût allemand (37,6 euros contre 38 euros). Ce n’était plus arrivé depuis 2004 et la période d’austérité salariale assumée outre-Rhin.

Un coût du travail bien orienté

Le crédit d’impôt compétitivité-emploi (CICE) ainsi que le pacte de responsabilité ont clairement joué. En tenant compte de la productivité, les coûts français ont progressé moins vite que ceux de la zone euro en moyenne depuis 2012.

Mais cette amélioration ne doit pas non plus être surestimée, car le prix des services aux entreprises compte pour beaucoup dans les coûts de production industriels (15 % des branches manufacturières en 2014, selon le rapport social économique et financier annexé au projet de loi de finances 2017). Or, le coût horaire de la main-d’œuvre dans les services reste supérieur à celui de l’Allemagne. Mais cela n’a pas non plus empêché les coûts « unitaires » de main-d’oeuvre (qui tiennent compte de la productivité de salariés) dans l’ensemble de l’économie française de progresser beaucoup moins vite que de l’autre côté du Rhin depuis 2009.

Des marges qui commencent à se redresser

Autre indicateur positif, le redressement des taux de marge des entreprises. En d’autres termes, elles sont redevenues plus profitables et peuvent se permettre d’investir, notamment pour améliorer leur compétitivité hors coût, si elles le jugent nécessaire.

« Après avoir atteint son plus bas niveau depuis 1985 au quatrième trimestre 2013, à 29,8 %, le taux de marge des sociétés non financières a fortement rebondi pour atteindre 31,4 % de la valeur ajoutée en 2015 », écrit Bercy. C’est encore en dessous du niveau observé au début des années 2000 (entre 32 et 33 %), mais le redressement est spectaculaire. Au deuxième trimestre 2016, le taux de marge a atteint 31,7 %. Évidemment, la baisse du prix du pétrole a beaucoup joué. Mais la politique gouvernementale aussi.

Incertitudes

Mais, pour l’heure, l’investissement des entreprises françaises n’est pas au rendez-vous. Après un fort rebond en début d’année, le soufflé est retombé, probablement à cause d’un climat d’incertitude économique marqué (attentats, inondations, Brexit, élection de Donald Trump, etc.)

Beaucoup expliquent cette faiblesse par un manque de demande. Avec des carnets de commandes dégarnis, les industriels hésiteraient à appuyer sur l’accélérateur. Mais cette analyse ne fait pas consensus parmi les économistes. « Les hausses de la demande intérieure en France conduisent à une forte progression des importations, qui révèle l’inadéquation de l’offre de biens et de services exportables à la demande ; cette inadéquation est confirmée par la dégradation en tendance de la balance commerciale hors énergie », explique Patrick Artus dans une note.

Un manque de robots

Pour le directeur de la recherche économique chez Natixis, « le problème essentiel de l’économie française est l’inadaptation croissante de l’appareil productif à la nature de la demande » et « la baisse du niveau de gamme de la production ». « La France est, en dehors du Royaume-Uni, le grand pays de l’OCDE où la modernisation du capital industriel est la plus lente. » Un constat dressé à partir de la faible robotisation des usines françaises.

Sa conclusion est déprimante. Pour Patrick Artus, il ne sert donc à rien de relancer la demande ou de diminuer davantage le coût du travail. « C’est une spirale sans fin puisque les pays qui ont le même niveau de gamme que la France ont des coûts salariaux beaucoup plus faibles », écrit-il sur Le Point.fr. Pour lui, le problème vient « du faible dynamisme de la majorité des entrepreneurs en France qui serait aussi responsable, par exemple, du faible nombre d’entreprises exportatrices ».

>> À lire aussi : Pourquoi les entreprises n’investissent-elles pas assez ?