Nouailhac – Les frondeurs, ces pompiers pyromanes…

D’étranges débats se sont tenus l’autre jour, ou plutôt l’autre nuit, à Paris, dans un pays majeur du monde civilisé et dans un hémicycle quasiment vide de l’Assemblée nationale. On se serait cru par moments à Caracas, à l’Asamblea Nacional de la República Bolivariana de Venezuela, un pays mineur mangé par les mythes du pire dogmatisme. Pendant quelques heures, en séance de nuit, un commando de frondeurs parfaitement organisé dans une implacable volonté de mettre à genoux le Parti socialiste, coupable des pires extrémités « sociales-libérales », et d’en humilier les représentants officiels, s’est acharné à détourner à son profit plusieurs des principaux dispositifs du projet de budget 2017. Et le plus grave, c’est qu’ils ont réussi.

Dans l’hémicycle, une soixantaine de députés seulement sont présents pendant cette nuit du 19 au 20 octobre. Les bancs loyalistes du PS sont vides face à un bloc d’une vingtaine de frondeurs énervés venus pour en découdre. Le ministre Michel Sapin et son adjoint Christian Eckert représentent le gouvernement. Ils vont passer une très mauvaise nuit face à un chef frondeur, Pascal Cherki, néo-député PS depuis 2012, membre de la commission des Finances, un acharné – son ennemi intime, c’est la finance –, assoiffé de taxes et de réglementations contraignantes contre les patrons honnis et face à deux jeunes femmes très complices et très accrocheuses, Valérie Rabault et Karine Berger.

Sapin et Eckert, un duo impuissant

Le président du groupe socialiste, Bruno Le Roux, est à sa place habituelle, mais restera silencieux pendant toute la séance tandis que, de son côté, le « gardien » du groupe socialiste pour la soirée, Dominique Lefebvre, sera totalement impuissant devant les charges des frondeurs. Résultat : de nouveaux prélèvements fiscaux de plusieurs milliards d’euros. Donc plusieurs milliards de charges supplémentaires pour des entreprises encore plus surtaxées, corsetées, laminées et même vilipendées au passage, dans une grande foire nocturne anticapitaliste et antilibérale telle qu’on ne peut en trouver qu’au Venezuela… ou en France !

Le plus incroyable dans l’histoire, c’est que les deux ministres et le président du groupe socialiste à l’Assemblée n’ont même pas cherché à rameuter des troupes de députés à l’extérieur de l’Assemblée pour éviter la casse. Ils sont restés passifs, comme engourdis et abasourdis, accablés par le climat ambiant de révolte contre le gouvernement et contre sa « trahison » des « vraies valeurs de la gauche ». Ils étaient des cibles et n’ont pas su ou pas voulu éviter les coups de poignard dans le dos de la part de leur virulente opposition interne. Et, comme de bien entendu, les quelques députés écologistes et communistes présents ont appuyé les frondeurs du PS chaque fois qu’il s’est agi de bastonner les entreprises et leurs dirigeants.

Pour commencer, nos frondeurs et leurs complices ont élargi la taxe sur les transactions financières (TTF) aux transactions intrajournalières, dites « intra-days », ce qui est considéré comme pure folie à la Bourse de Paris, et ils ont carrément augmenté de 50 % le taux de cette TTF, la portant de 0,2 % à 0,3 %. Résultat : un gain fiscal espéré de plusieurs milliards d’euros sur le dos des clients de la Bourse.

Ensuite, ils ont obtenu que la baisse des impôts de 33,3 % à 28 % sur les entreprises, prévue par le gouvernement, soit décalée de deux à trois ans pour les grandes entreprises, afin que les PME puissent profiter en priorité et plus rapidement d’un taux d’IS réduit à 15 %. Le frondeur Pascal Cherki, faussement intéressé, demandant en séance à l’équipe Sapin « le coût de cette mesure », n’aura pas obtenu de réponse et d’ailleurs il n’en attendait pas, l’addition devant être assumée par la future majorité…

Enfin, ils ont mis un grand coup de cutter dans l’une des dispositions les plus intelligentes de la loi Macron, cette fiscalité adoucie pour la distribution d’actions gratuites à des dirigeants méritants. Les frondeurs, dans leur grande mansuétude, veulent bien admettre que l’on ne taxe pas trop les détenteurs d’actions gratuites dans les PME et les start-up, mais ils ne supportent pas, mais alors pas du tout, que les plus grandes entreprises puissent également en profiter. Leur ennemi : « le grand capital », comme à l’époque de Georges Marchais ! Leur principe : opposer les pauvres et courageux petits patrons aux riches et méchants PDG du CAC 40.

Hold-up fiscal

Contre l’avis du duo impuissant Sapin-Eckert, Valérie Rabault obtient que les plus-values réalisées lors de la session de ces actions gratuites soient fiscalisées comme des salaires et non comme des cessions mobilières, ce qui avait été mis en place par la loi Macron. Il s’agit là d’un véritable hold-up fiscal digne du dictateur vénézuélien, le primate rouge Nicolás Maduro. Et tant qu’on y est, la contribution patronale est portée de 20 % à 30 %. Une usine à gaz de plus, et « une approche idéologique de la fiscalité », selon l’association d’entrepreneurs CroissancePlus. « Les députés vont lourdement pénaliser l’actionnariat salarié », ajoutera Geoffroy Roux de Bézieux, du Medef. Quant aux « Pigeons » qui ont déjà levé l’étendard de la colère sur ce problème, ils sont furieux et ont décidé de le faire savoir bientôt.

Lors du vote de la partie recettes de ce budget 2017 en première lecture à l’Assemblée, le 25 octobre, les amendements obtenus à l’arraché par les frondeurs du PS, leurs amis d’extrême gauche et leurs alliés de circonstance, seront repris et votés intégralement, à un ou deux détails près. S’y ajouteront quelques autres dispositions électoralistes et coûteuses comme une aide au développement augmentée de près de 300 millions d’euros, une nouvelle baisse de 1 milliard d’impôts sur le revenu applicable à 5 millions de foyers et quelques bonbons fiscaux : une exonération d’impôts sur le revenu des primes reçues par les champions français médaillés aux Jeux olympiques et une autre exonération pour les indemnités des quelque 10 000 militaires mobilisés dans l’opération Sentinelle.

La décomposition du Parti socialiste n’a pas fini de faire des vagues au détriment de l’économie générale du pays. Les choses peuvent encore bouger jusqu’à la promulgation de la loi de finances fin décembre, si le gouvernement décide d’affronter ses dissidents de l’ultragauche. Il peut également revenir en arrière en deuxième lecture après l’aller et retour au Sénat. Il peut toujours espérer enfin une éventuelle censure du Conseil constitutionnel. En attendant, cette folle nuit de débauches du 19 au 20 octobre aura généré un coût exorbitant à cause de députés irresponsables qui ont confondu l’Assemblée nationale avec une boîte de nuit en open-bar. Pas de quoi être fiers du modèle démocratique français…