Quelle mouche a donc piqué Christian Estrosi pour attaquer ainsi bille en tête les carences du gouvernement sur la sécurité, quelques heures seulement après l’attentat qui a frappé Nice ? Y voir une réaction émotionnelle du patron de la métropole azuréenne au drame qui a touché sa ville chérie, une défausse de responsabilité, une polémique politicienne, voire un positionnement tactique en vue de l’élection présidentielle, est un peu court.
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Car le contentieux est bien antérieur à ce tragique 14 juillet. Il y a un an, presque jour pour jour, l’édile, dans ces colonnes, se plaignait déjà que l’État rogne des effectifs en matière de police et menaçait de faire appel à des vigiles privés. Ce qu’il a fait pour protéger la fan-zone de l’Euro, la ville de Nice ayant recouru à 124 agents de sécurité privée, installé à ses frais des portiques et dix caméras supplémentaires, bref, investi au total 1,2 million d’euros – près de la moitié du budget qu’elle allouait à la compétition – sur ce poste.
Pommes de discorde
Christian Estrosi et le préfet des Alpes-Maritimes, Adolphe Colrat, sont engagés dans un bras de fer qui dure. Il y a un mois et demi, dans un entretien qu’il nous avait accordé pour un numéro spécial Nice du Point, le premier ne mâchait pas ses mots contre le second, coupable à ses yeux d’être « favorable à l’ouverture d’un lieu de culte au bénéfice d’une mouvance salafiste [la mosquée En-Nour, NDLR]. Soit M. Valls accepte que son préfet ne respecte pas ce qu’il a affirmé, qui plus est en état d’urgence, précisait Christian Estrosi, soit le préfet exécute les instructions du gouvernement à l’encontre de l’intégrité du territoire national et de notre région. »
Objet du litige : l’installation de la mosquée En-Nour, contre laquelle bataille la municipalité, arguant du fait que ce bâtiment – que la ville veut transformer en crèche – est propriété du ministre saoudien des Affaires islamiques. Le président de la métropole niçoise a proposé l’ouverture d’un autre lieu de culte, mais le préfet a autorisé la mosquée En-Nour, et le Conseil d’État a tranché en sa faveur.
Ce n’est pas le seul litige qui oppose les deux hommes. Le baron niçois avait même demandé en octobre, lors des Rencontres de la sécurité sur la promenade des Anglais – propos rapportés par Nice-Matin – et sur Twitter, la tête du préfet, parce que celui-ci avait vertement critiqué sa gestion des rythmes scolaires. « Je ne suis pas en guerre contre le préfet, nous précisait Christian Estrosi en juin dernier. Je suis dans un rapport de force avec un gouvernement qui fait le contraire de ce qu’il dit. »
L’enjeu de la sécurité pour contrer le FN
Une opposition musclée qui s’est exprimée récemment aussi avec le logiciel de reconnaissance faciale mis au point par la métropole niçoise, et garantissant, selon son patron, qu’« aucune personne fichée S ne pourra circuler dans Nice sans être identifiée et neutralisée ». Le gouvernement n’a pas donné suite. « Je suis déçu par cette attitude peu responsable », lâchait Christian Estrosi au Point en juin.
L’homme, qui a fait de la sécurité un axe fort de sa politique, a toujours été un ardent promoteur des polices municipales. Celui qui est, par ailleurs, président de la commission consultative des polices municipales – auprès du ministre de l’Intérieur – se démène depuis longtemps pour accroître les moyens d’action de ces agents, notamment l’autorisation de leur armement. Il a fait de Nice une ville en pointe en la matière, ne cessant d’augmenter les effectifs des policiers et les dotant des équipements les plus modernes, en premier lieu un « centre de supervision urbaine » ultramoderne, pilotant 24 heures sur 24 les 1 250 caméras qui font de Nice la ville la plus vidéosurveillée de France. Et le politique n’a jamais hésité à faire des déclarations musclées sur le sujet.
Sur un territoire où le FN – dont des responsables ex-Identitaires – est en progression constante, les élections les unes après les autres se jouent sur cet enjeu. Et celui-ci, évidemment, après l’attentat du 14 juillet, structurera plus que jamais la vie locale et les scrutins, dans les prochaines semaines. Avec, au coeur du débat, des communautarismes exacerbés. En toile de fond, la bataille politique, à la lisibilité simple, entre un territoire de droite et un gouvernement de gauche, sans oublier le match picrocholin entre une grande métropole régionale – rattachée récemment (1860) à la France – et la capitale jacobine du pays. Et en ligne de mire, l’élection présidentielle de 2017.