Après les perquisitions, les sanctions. Accusés d’avoir fait travailler leurs collaborateurs pour leur parti alors qu’ils étaient payés par Bruxelles, certains députés européens frontistes sont menacés de passer à la caisse. Une menace qui a déjà été mise à exécution pour Jean-Marie Le Pen. L’organisme de lutte antifraude du Parlement européen (Olaf) lui a imposé une amende de 320 026 euros en février pour avoir « enfreint la réglementation sur les assistants parlementaires », dixit Frédéric Joachim, son avocat. Puisque le patriarche a refusé de payer, le Parlement retient depuis mai ses frais généraux ainsi que la moitié de sa rémunération régulière, soit au total 7 400 euros par mois.
Pour l’Olaf, plusieurs éléments prouvent que Jean-François Jalkh, son assistant accrédité de 2009 à 2014, a travaillé pour le FN dans le cadre de la campagne des élections européennes en France. L’institution s’appuie notamment sur un contrat de vingt-cinq jours que Jalkh, aujourd’hui député européen, a conclu avec Riwal, la société de communication du Front national fondée par Frédéric Chatillon, un ami de Marine Le Pen mis en examen pour escroquerie dans le cadre de plusieurs campagnes électorales.
« Une situation cocasse »
Pour contester ces faits, Jalkh a soutenu qu’il avait accompli ces tâches pendant ses vacances. Mais les recours, non épuisés à ce jour, n’ont pas empêché le Parlement d’imposer l’amende. « C’est une situation cocasse quand on se souvient que Jean-François Jalkh était président de la commission qui a exclu Le Pen du FN », ironise Lorrain de Saint-Affrique, de retour aux côtés du Menhir après vingt ans de guerre médiatique et judiciaire entre les deux hommes.
« Pour vingt-cinq jours de travail au service du député, mais pas de la façon dont il le souhaite, le Parlement remet en question la rémunération de M. Jalkh sur plusieurs années », s’indigne Frédéric Joachim. Le conseil précise au Point.fr que Jean-Marie Le Pen n’a jamais été entendu par l’institution, ce que le Parlement européen dément. Joachim annonce avoir formulé un recours devant le tribunal de première instance de l’UE.
Les fonctionnaires de l’Olaf pourraient se sentir confortés dans leur démarche par une jurisprudence rendue il y a quelques jours. Entre 2001 et 2004, l’ancien député européen souverainiste Jean-Charles Marchiani a eu recours aux services d’assistance parlementaire de trois personnes. S’étant aperçu (notamment grâce à une information du tribunal de grande instance de Paris ainsi qu’à un rapport d’enquête de l’Office européen de lutte antifraude) qu’il avait indûment perçu des indemnités pour les fonctions prétendument exercées par ces trois personnes, le Parlement a procédé au recouvrement des sommes déboursées pour ces trois emplois (soit un total de 255 854,99 euros). Mais, en ce qui concerne une partie de cette somme, Marchiani a entamé et perdu une longue bataille judiciaire pour contester la sanction. Son dernier pourvoi devant la Cour de justice des communautés européennes a été rejeté le 16 juin dernier.
« Je leur ai balancé 600 pages de documentation et un constat d’huissier »
Outre Jean-Marie Le Pen, Bruno Gollnisch est également sous la menace d’une sanction pécuniaire pour des faits similaires. Considérant que son ancien collaborateur Guillaume L’Huillier n’assistait pas le député dans le cadre de cette fonction, le Parlement lui réclame « environ 300 000 » euros, reconnaît Bruno Gollnisch. L’Olaf lui a notifié la suspension des paiements le concernant par une lettre du 10 juillet 2015 avec effet rétroactif au 1er juillet. « Ils m’ont demandé de justifier de son travail 6 ans en arrière. J’ai demandé à présenter mes observations. Ils ont refusé de les recevoir oralement. Je leur ai balancé 600 pages de documentation et un constat d’huissier », clame Bruno Gollnisch au Point.fr. Si le député continue de recevoir ses indemnités de parlementaire, il n’a pas eu de réponse de l’Olaf. Il se réserve également le droit de saisir la justice européenne.
Amis intimes et figures historiques du FN, Jean-Marie Le Pen et Bruno Gollnisch ne sont pas membres du groupe FN-Europe des nations et libertés au Parlement européen. Mais des députés FN de ce groupe sont également dans le viseur de l’Olaf. En tout, une vingtaine de personnes proches du Front national ont été auditionnées par l’institution ces derniers mois. Une enquête est toujours en cours concernant Marine Le Pen. Son assistant, Philippe Murer, serait mis en examen par la justice française. Après que le Parlement européen eut saisi l’Olaf, le parquet de Paris avait ouvert en mars 2015 une enquête concernant une vingtaine d’assistants d’élus FN, soupçonnés d’avoir été employés de manière fictive au Parlement de Strasbourg. « Ce système n’est qu’une tyrannie, » précise Philippe Murer. Qui déclare ne pas savoir si Marine Le Pen a fait l’objet de sanctions. Contactés, de nombreux cadres du FN comme Louis Aliot, Aurélien Legrand, Bruno Bilde, Steeve Briois ou encore Nicolas Bay déclarent ne pas être concernés et n’avoir aucune information à donner sur le sujet. Quant à Florian Philippot, député européen et responsable de la communication du parti, il n’a pas répondu à nos sollicitations.
« Soutien-gorge » et « délit de bas de laine »
Outre les amendes, de nombreuses perquisitions ont également été effectuées par la justice française. Onze assistants parlementaires de députés européens FN, dont Guillaume L’Huiller, auraient été perquisitionnés, selon plusieurs sources au Front national. Le siège du FN à Nanterre a également été perquisitionné. Après avoir filmé la scène, Marine Le Pen avait même dû cacher son téléphone portable dans son soutien-gorge pour éviter qu’il soit saisi par les enquêteurs.
Le bureau de Bruno Gollnisch a également fait l’objet d’une perquisition, ainsi que le domicile de Jean-Marie Le Pen à Montretout à deux reprises. La première fois, le Menhir « était en vacances sur une île à l’autre bout du monde », raconte son avocat, mandaté par Le Pen pour le représenter sur les lieux. Des agents du parquet national financier ainsi que des agents de l’Olaf et une procureur étaient présents, précise-t-il, et l’ambiance était « particulièrement tendue ». « Un serrurier a commencé à forcer un coffre-fort Napoléon III ainsi qu’un meuble datant de plusieurs siècles. » Constatant les dégâts, Joachim serait parvenu à les convaincre de mettre les pièces sous scellés en attendant le retour Jean-Marie Le Pen. Un nouveau rendez-vous a donc été donné à Montretout le jour du retour de Le Pen. Mais des agents de police ont préféré le cueillir directement à l’aéroport. Ils l’ont accompagné à son domicile et ont procédé à une nouvelle perquisition, confisquant au passage trois ordinateurs de ses collaborateurs. Ils ont également emporté trois Louis d’or qui se trouvaient dans le coffre-fort. Selon Lorrain de Saint-Affrique, la justice refuse de les restituer, « car elle considère ça comme des provisions sur les futures amendes. Le Pen a appelé ça un délit de bas de laine ».
« Le Pen sévèrement touché au portefeuille »
Le patriarche n’est pas sur la paille, mais quand même. Il est aujourd’hui sévèrement touché au portefeuille. Ses indemnités de député européen constituent une de ses rares sources de revenus puisqu’il n’est plus conseiller régional en Paca. Ciblé par plusieurs affaires judiciaires, et en procès avec son propre parti dont il conteste l’exclusion, il dépense de fortes sommes d’argent pour assurer sa défense. « Il embauche cinq collaborateurs à plein temps*. Heureusement, il dispose d’une certaine surface financière », précise Lorrain de Saint-Affrique.
Mais, dans cette affaire, le pire ne serait pas le manque d’argent. Outre le fait que le FN y perd un peu de sa superbe quand il s’agit de dénoncer les turpitudes des politiques, les députés déplorent surtout le temps passé à assurer leur défense qui les empêche de se consacrer à leurs missions politiques. « Quand on fait ça, on ne fait pas autre chose », s’indigne Bruno Gollnisch. « Ils nous paralysent de manière arbitraire. La véritable cible, c’est Marine Le Pen. Valls et Martin Schulz (le président du Parlement européen) s’entendent bien. Ça vient de là », accuse Lorrain de Saint-Affrique.
Au Parlement, on reconnaît volontiers que le président du Parlement européen a une dent contre le FN. « Schulz a décidé de ne rien leur laisser passer. Il dénonce publiquement le fait que le parti profite des ressources financières du Parlement pour taper sur l’Europe », reconnaît un assistant parlementaire d’un député européen EELV. Même s’il juge que les parlementaires frontistes et leurs assistants sont tout de même allés trop loin : « À Strasbourg, de nombreux assistants font aussi de la politique en plus de leur activité au Parlement. Mais, normalement, tu bosses toujours pour ton chef. Eux, ils sont rémunérés par le Parlement, alors qu’ils ne bossent même pas pour leur parlementaire. Ce sont de vrais emplois fictifs ! »
*Lorrain de Saint-Affrique a contacté le Point.fr après publication de l’article. Il précise que Jean-Marie Le Pen emploie trois avocats et quatre collaborateurs dont trois à mi-temps.