Il l’enterre. Depuis son bureau de Premier ministre à Matignon, Manuel Valls a refusé ce mercredi soir d’étendre la déchéance de nationalité à «tous les Français» jugés coupables pour crimes terroristes, solution proposée ces derniers jours par certains socialistes pour éviter de stigmatiser les seuls binationaux. Dans une interview à BFM TV, le chef du gouvernement a ainsi estimé que si le Parlement pouvait faire évoluer le projet de loi constitutionnelle adoptée en conseil des ministres le 23 décembre, il y avait «une condition […] très claire»: «La France ne peut pas créer des apatrides, c’est-à-dire des personnes sans nationalité, a-t-il lancé. Cela ne serait pas conforme à l’image, ni aux valeurs, ni surtout aux engagements internationaux de la France. C’est pour ça que nous n’avions pas retenu l’idée de pouvoir déchoir tous les Français de leur nationalité. Je veux être là-dessus extrêmement clair».
Convaincu d’une «large majorité» au Congrès
Cette sortie de Valls vient après la décision du bureau politique de Les Républicains (LR) qui avait, plus tôt ce mercredi après-midi, refusé cette hypothèse d’une «déchéance pour tous» avancée par certains dirigeants socialistes. Le parti de Nicolas Sarkozy s’est dit prêt à voter la révision constitutionnelle telle que présentée par François Hollande lors du Congrès à Versailles le 16 novembre. Mais pas si l’article 2, celui sur la déchéance de nationalité, est étendu à tous les Français.
Retour donc à la case départ pour des socialistes qui tentent depuis plusieurs jours de se sortir du piège d’une déchéance qu’une très grande majorité d’entre-eux ne peut accepter. Certains d’entre-eux devraient donc avancer l’idée d’une «déchéance de citoyenneté» qui, pour le coup, les rassembleraient. Mais malgré les voix socialistes qui, tous les jours, se prononcent contre une déchéance de nationalité qu’ils ont combattue par le passé, le Premier ministre en est «convaincu»: «La révision constitutionnelle sera adoptée à une très large majorité».
«Conjurer» le «péril» de la «désunion»
En pleine semaine marquée par les commémorations des attentats de janvier et les 20 ans de la mort de François Mitterrand, Manuel Valls supplée ainsi le président de la République dans la défense de sa politique. François Hollande a fixé les lignes lors de ses vœux télévisés du 31 décembre, le Premier ministre s’exécute sur le terrain de la sécurité et du «patriotisme nouveau». Ce mercredi, il reçoit donc BFM-TV à domicile, depuis Matignon et prend la plume dans une tribune à paraître dans l’Obs cette semaine et reçoit . Et le chef du gouvernement, face à «la menace du terrorisme islamiste […] omniprésente» de formuler une «exigence d’unité et de sécurité».
Ainsi, après avoir souligné combien «l’école républicaine», la «laïcité» et le projet de loi égalité et citoyenneté à venir doivent «conjurer» le «péril» de la «désunion», Valls défend dans son texte signé dans l’Obs les mesures de sécurité prises par son gouvernement depuis un an («moyens supplémentaires» pour les forces de l’ordre, «deux lois antiterroristes», «loi sur le renseignement», «suivi des jeunes radicalisés»…). Il défend aussi – et surtout – la révision constitutionnelle proposée par le chef de l’Etat et dénonce les «faux débats, fondés sur des allégations trompeuses». Qui viennent pourtant de son propre camp. Et pas forcément des traditionnels opposants au Premier ministre.
«Etre français, binational ou pas»
«Il peut y avoir des débats. Ils sont légitimes, en convient Valls. Mais […] il faut remettre les choses à leur place. La déchéance de nationalité ne porte pas atteinte au droit du sol ni à la binationalité. Elle vise exclusivement des terroristes, condamnés pour crime, des Français qui ont fait le choix de frapper des Français». Comme il l’avait fait après Noël dans un post sur Facebook, le chef du gouvernement invoque les anti-esclavagistes de 1848 pour justifier qu’on puisse enlever la nationalité française à quelqu’un : «Cette mesure […] rappelle qu’être français, binational ou pas, naturalisé ou de naissance, par le sang ou par le sol, c’est partager les mêmes valeurs, une même espérance, se retrouver dans l’épreuve et dans les souffrances.»
Lilian Alemagna