Taubira : l’unité pour justifier l’incohérence ?

Peut-on encore défendre Christiane Taubira ? Certes, on conviendra que sa position est aujourd’hui sinon intenable du moins baroque. D’abord, voilà une ministre de la Justice qui va se présenter devant l’Assemblée pour défendre le projet d’inscrire dans la Constitution l’extension de la déchéance de nationalité aux binationaux nés Français jugés coupables de crime terroriste, tout en déclarant ouvertement que cette mesure «n’est pas souhaitable», car son «efficacité» dans la lutte contre le terrorisme est «absolument dérisoire». Il y a dans cette absolue contradiction quelque chose qui vient heurter le bon sens démocratique. Sauf à finir de discréditer la politique pour de bon, le minimum que l’on est en droit d’exiger d’un ministre est qu’il soit en accord avec le texte de loi qu’il défend dans l’hémicycle.

Ensuite, pour reprendre la bonne vieille jurisprudence Chevènement, appliquée avec le départ d’Arnaud Montebourg, «un ministre ça ferme sa gueule ou ça démissionne». On peut comprendre (voire souhaiter) que les argumentaires d’un débat qui divise un gouvernement puissent être rendus public. Mais une fois l’arbitrage tombé, le minimum est d’attendre des ministres de la discipline. A l’aune de cette double exigence, on ne comprend pas pourquoi Christiane Taubira ne démissionne pas. Jeudi soir, elle a eu ces mots : «J’entends que j’avale des couleuvres, mais moi je pense qu’il est bon qu’on ait du respect pour les institutions. […] Vous entendez des paroles de parlementaires qui sont aussi loyaux au président de la République et même au gouvernement et qui disent leur sentiment, leur conviction. Donc, nous sommes à un moment où nous pouvons exprimer cela.»

Christiane Taubira ne pouvait trouver à cette mesure des vertus qu’elle lui a toujours refusées. Cela aurait été pire que tout. Pour justifier sa non-démission, la garde des Sceaux avait pourtant un argument qui lui tendait les bras et qui lui permettait de retrouver une (petite) cohérence politique : invoquer l’impératif d’unité nationale. Car si ce gouvernement hérite d’une mesure que la gauche a toujours combattue, c’est que la droite a exigé que cette déchéance de nationalité soit intégrée à la révision constitutionnelle. Et comme Hollande a besoin des voix de l’opposition pour trouver une majorité des trois cinquièmes pour graver l’état d’urgence dans le marbre, Taubira serait devenue la ministre du sacrifice et non celle de la contradiction.

Grégoire Biseau