Ah bon, les agents de la SNCF circulent armés ? Et les caméras de surveillance dans les gares et dans les trains permettront de repérer les terroristes ? Et on aurait trouvé la martingale pour contrôler tous les passagers ? L’intervention du président de la SNCF, Guillaume Pepy, dimanche sur Europe 1, a soulevé plusieurs interrogations mais aussi permis de médiatiser la nouvelle loi Savary qui renforce la lutte contre la fraude et la délinquance dans les transports en commun. Elle a également entrainé une prise de conscience : en matière de sûreté, les trajets en train d’hier seront bien différents de ceux de demain. Retour sur trois propos de Guillaume Pepy.
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«Nos propres agents, les agents de la sûreté, vont désormais avoir le droit, grâce à la nouvelle loi Savary, de patrouiller armés et en civil dans les trains. En anglais, ce sont les train marshals. En français, ce sont les patrouilleurs en civil armés.»
Dans cette déclaration du président de la SNCF, le mot nouveau n’est pas «armés», mais «civil». La SNCF et la RATP disposent d’équipes dédiées à la sécurité. Ces agents ne sont pas policiers mais dépendent du ministère de l’Intérieur. Ils patrouillent dans les rames et sur les quais, en groupes, et accompagnent parfois les équipes de contrôleurs.
A la Surveillance générale (Suge) de la SNCF, ils sont près de 3 000, dont un millier en Ile-de-France. A la RATP, le Groupe de protection et de sécurisation des réseaux (GPSR) fait travailler environ 1 000 agents. Et ils sont déjà armés. Des armes de 6e catégorie, type tonfa ou bombe lacrymogène, et des armes de poing. «La sûreté ferroviaire a fêté ses 100 ans l’an dernier et ça fait cent ans que ses agents sont armés», rappelle-t-on à la SNCF. «Ils sont très entraînés, assure Gilles Savary, député (PS) de Gironde et rapporteur de la loi. Leur entraînement est supérieur à celui d’un gendarme classique en termes de coups tirés.» Seuls les agents de la RATP et de la SNCF disposent de cette assermentation.
Les autres opérateurs de transport en commun ne peuvent disposer d’agents armés. «On n’a pas voulu transformer tous les agents de sûreté d’entreprise privée en cow-boys», justifie Savary. En revanche, la police municipale pourra désormais patrouiller dans les trains, avec les mêmes prérogatives que les agents SNCF. Ils pourront même opérer sur l’ensemble d’une ligne, au-delà de leur frontière communale, dès lors qu’une convention sera signée entre les différentes communes traversées.
La loi Savary introduit un autre changement pour les deux principaux opérateurs : ces agents pourront tomber l’uniforme et patrouiller incognito sur le réseau. «Ce mode d’intervention, en civil, leur a été retiré il y a quelques années, poursuit l’élu. On était à une époque de dissuasion, à un maintien de l’ordre soft.» Cet article de la loi était certes réclamé par la SNCF et la RATP mais pas du tout dans l’optique de lutter contre le terrorisme. Ces patrouilles sont plutôt destinées à repérer et interpeller en flagrant délit les fraudeurs, les voleurs des cages à bagages sur les grandes lignes, les fumeurs ou les graffeurs. Bref, de la petite délinquance. La SNCF précise que l’essentiel des patrouilles continuera de circuler en uniforme, «pour la visibilité, la dissuasion». Les civils, pour des questions de discrétion, seront équipés plus «légèrement», détaille une porte-parole de la compagnie ferroviaire. Et en cas d’interpellation, «ils travailleront en coordination avec des agents en tenue» qui les attendront sur les quais. Savary conclut : «Ce qu’on risque de voir sur certaines lignes à problèmes, ce sont des opérations coups de poing, en civil, et pendant une semaine. Là, ça peut être très efficace.»
«Nous allons moderniser les caméras [de surveillance, ndlr]. Elles vont avoir des logiciels qui permettent de repérer des mouvements suspects […]. Cela s’appliquera au moment de l’Euro.»
Petite surprise. Qui ne concerne pas l’existence de ces caméras dites «intelligentes» mais la date de leur mise en place. En décembre, le secrétaire général de la SNCF, Stéphane Volant, avait décrit une expérimentation en cours pour intégrer aux caméras de l’entreprise un dispositif qui mesure «le changement de température corporelle, le haussement de la voix ou le caractère saccadé des gestes». L’objectif étant de détecter des comportements anormaux ou le niveau de stress des personnes dans la gare. Des sociétés spécialisées prétendent disposer d’outils capables de repérer, dans une foule, une silhouette qui stationnerait (trop ?) longtemps au même endroit, qui rôderait un peu trop souvent près de zones sensibles, ou qui déposerait un objet et s’en éloignerait. Mais d’autres spécialistes affirment que ces technologies sont au stade expérimental et encore peu fiables.
Thales, le géant de l’électronique de défense, déclarait en décembre à l’AFP que le système sur lequel il travaillait n’était pas encore opérationnel. Avec qui collabore la SNCF ? La société refuse de le dire. Tout juste admet-elle que sur les expérimentations menées, «certaines sont concluantes et d’autres pas». Il semble douteux, malgré la déclaration de Pepy, que cette technologie soit déployée dès l’ouverture du championnat d’Europe des nations, le 10 juin, sur l’ensemble des 40 000 caméras. Sachant qu’il faut, comme l’a précisé le président de la SNCF, des profilers pour analyser en temps réel les comportements anormaux détectés. «Une partie de ces technologies sera effective pour l’Euro, ce qui ne veut pas dire que tout sera déployé à ce moment-là», se borne à dire la SNCF. Quand le système le sera réellement, la SNCF aura malgré tout l’obligation d’en informer les usagers, rappelle la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil).
«Je maintiens les portiques Thalys, il n’est pas question de les retirer. […] Nous ajoutons d’autres portiques. A la gare Montparnasse, à la gare de Marseille, il y a des portiques qui servent à présenter son billet. Nous allons leur ajouter des dispositifs de détection des explosifs et des armes, de telle sorte que l’on puisse avoir à la fois le contrôle de billet et le contrôle de sécurité.»
Cette déclaration peut prêter à confusion. La SNCF déploie actuellement, et ponctuellement, deux types de portiques. Des portiques de sécurité qui scannent les usagers lors de leur passage, mis en place pour Eurostar et, depuis décembre, pour les Thalys. Et des portiques de contrôle de billet, tourniquets modernes testés actuellement à l’entrée des quais TGV à la gare Montparnasse, à Marseille et à Lille. Après les attentats de novembre, la ministre en charge des Transports, Ségolène Royal, a déclaré vouloir équiper les quais TGV de portiques de sécurité. Une idée dénoncée de toutes parts, en raison des embouteillages que cela créerait.
La SNCF, chargée de réfléchir à la question, tente de trouver des solutions plus légères que le portique-scanner. Les caméras «intelligentes» pourraient justement, à l’avenir, équiper les portiques antifraude. «Lorsqu’il y a des files d’attente, les gens circulent moins vite, ce qui permettrait à ces caméras de faire leur travail d’identification», explique la porte-parole de la SNCF. En attendant ces hypothétiques caméras, des brigades cynophiles actuellement en formation pourraient aussi être postées à ces portiques. «Les premières brigades devraient patrouiller au début de l’Euro 2016, précise encore la SNCF. In fine, nous misons sur la complémentarité des dispositifs de sûreté qui, mis bout à bout, permettent d’avoir un maillage efficace.» Les problèmes sont éliminés les uns après les autres, en tranches. Une technique dite «du salami» désormais mise en pratique par la SNCF.
Richard Poirot