Neumann – La politique pour les surdoués : le cas Macron

Emmanuel Macron est un phénomène. Inconnu du grand public il y a un peu plus de deux ans, il est, à 39 ans, l’un des prétendants les plus sérieux à l’élection présidentielle – même si les sondages le disent aujourd’hui éliminé dès le premier tour. Dans tout autre domaine, on dirait qu’on est en présence d’un surdoué. La politique en a connu quelques-uns avant lui (Giscard, Fabius…), mais aucun n’avait à ce point défié toutes les règles de l’apesanteur politique. Jamais élu, il choisit comme première campagne la mère des batailles électorales : la présidentielle. Et encore s’y présente-t-il sans aucune formation politique. Sans même la certitude, au cas où il l’emporterait, de pouvoir s’appuyer sur une majorité stable à l’Assemblée. Du jamais-vu.

Un phénomène de communication ? C’est indéniable. Une vingtaine de couvertures de magazines en quelques mois, un livre édité à 200 000 exemplaires, une agence de communication à son service, une photographe attitrée, une dizaine de personnes dédiées à sa stratégie numérique et aux réseaux sociaux, un producteur de télévision qui prépare un documentaire sur sa campagne, des porte-parole disponibles 24h/24 pour prêcher le macronisme… L’homme a tout compris des codes contemporains de l’image. Ses adversaires diront que c’est une bulle ou même, suprême insulte, qu’il est le candidat des médias – le pire handicap qui soit si l’on pense au sort réservé par les électeurs à Édouard Balladur en 1995, à Lionel Jospin en 2002, à Nicolas Sarkozy en 2012 ou, plus près de nous, à Alain Juppé.

Moi, j’ai pris tous les risques en quittant le gouvernement

Un phénomène politique ? Assurément. Macron n’a pas son pareil – du moins jusqu’à présent – pour déjouer les pièges que lui tendent ses adversaires et pour contrer les traditionnels coups bas d’une campagne. En quelques mois, il a déjà eu droit au coup du redressement fiscal, aux rumeurs sur sa vie privée et même aux menaces sur les parlementaires socialistes qui s’aviseraient de soutenir sa candidature. En vain.

Lui colle-t-on l’étiquette du traître qu’il la décolle aussi vite. Nommé par François Hollande secrétaire général adjoint de l’Élysée, puis ministre de l’Économie, il quitte le gouvernement pour défier son mentor – qui, du coup, renonce à se présenter –, mais c’est Manuel Valls, grâce aux vacheries savamment distillées par certains hollandais, qui hérite du mistigri et devient, aux yeux d’une partie de la gauche, le Brutus de César-Hollande. Chapeau l’artiste !

Qualifie-t-on son mouvement créé ex nihilo, « En marche ! », de coquille vide qu’il s’empresse de réunir Porte de Versailles, dans une salle pleine comme un œuf, quelque 12 000 fans survoltés – quand François Fillon, lui, en avait rassemblé à peine 7 000 !

Lui reproche-t-on de ne pas participer à la primaire de la gauche de peur de la perdre qu’il rétorque aussitôt : « Je n’ai peur de rien. » La preuve : « Moi, j’ai pris tous les risques en quittant le gouvernement. » Imparable.

Lui fait-on remarquer que son livre, Révolution, est dépourvu de tout programme, de toute mesure concrète, qu’il égrène chaque jour les propositions nouvelles : suppression des cotisations salariales sur le chômage et la maladie contre une augmentation de la CSG, durée du temps de travail renvoyée aux accords d’entreprises et aux accords de branches, plafonnement des indemnités prudhommales… Bref, la loi El Khomri première mouture telle que Macron en rêvait. Oui, mais c’est Manuel Valls qui se traîne le « 49.3 » tel le sparadrap du capitaine Haddock.

Il a atteint son premier objectif : séduire

Compare-t-on ses idées au programme libéralo-austéritaire de François Fillon qu’il répond : avec moi, aucun déremboursement de médicaments ; moi, je préserverai les minima sociaux…

Et ça marche ! Emmanuel Macron, l’homme neuf de cette campagne, a brillamment atteint son premier objectif : séduire. Et bien au-delà des traditionnelles frontières partisanes. Il lui reste à accomplir le plus difficile : convaincre. Convaincre qu’il a les épaules pour exercer le job, la carrure pour se mesurer à Trump, Poutine ou Erdogan, l’expérience nécessaire pour faire face à la menace terroriste. Convaincre qu’il a les bonnes réponses à la question migratoire, à la crise européenne, au chômage de masse. Bref, que le jupitérien Macron est l’homme idoine, sinon providentiel, pour protéger les Français.

En attendant, il rêve que les électeurs à la primaire de gauche lui fassent, avec retard, le 29 janvier prochain, le plus beau des cadeaux de Noël : qu’ils désignent le candidat le plus à gauche possible, Arnaud Montebourg, Vincent Peillon ou, mieux encore, Benoît Hamon. N’importe qui, sauf Manuel Valls. Inutile de préciser que François Fillon, lui, rêve du contraire.