Raymond Barre le disait déjà : « C’est toujours le plus imprévu qui est le plus certain ! » Dimanche dernier, l’imprévu a encore frappé, et François Fillon est arrivé bon premier. Comme plus de la moitié des électeurs s’est décidée dans les derniers jours, il est logique que le phénomène ait largement échappé aux sondeurs, et les motivations de ce corps électoral émergent n’ont pas encore été éclaircies. Mais, une fois prise en compte la volonté manifeste d’éviter une nouvelle candidature de Nicolas Sarkozy, il reste au moins trois hypothèses pour expliquer ce report massif des voix en faveur de François Fillon : d’une part, en le voyant et en l’écoutant, les électeurs ont dû être frappés par le contraste absolu avec le président Hollande ; d’autre part, ayant pris en compte la situation économique et sociale désastreuse de la France, ils ont pu estimer que des réformes radicales s’imposaient davantage que des remèdes homéopathiques ; enfin, sachant depuis quelque temps que le programme de François Fillon avait de longue date inspiré ses adversaires, ils ont pu préférer l’original à la copie.
Terrain inconnu
Pour ce second tour qui s’annonce, on sent Alain Juppé plutôt mal à l’aise : habitué au rôle de favori, il semble s’adapter assez mal à celui de challenger – d’autant plus mal que l’écart des voix a dû être pour lui une très mauvaise surprise. Mais, dès lors, ses conseillers l’ont exhorté à attaquer François Fillon par tous les moyens, et c’est pour lui un exercice manifestement artificiel, dans lequel il se montre plutôt maladroit. On peut le comprendre : outre le fait qu’il est difficile d’échanger en un tournemain le masque du vieux sage contre un bandeau de kamikaze, la similitude de son programme avec celui de son concurrent lui laisse des fenêtres de tir très étroites, et, à la différence du blitzkrieg, le débat au sein d’un même camp est une manœuvre dans laquelle l’attaquant est bien plus vulnérable que le défenseur.
Un exercice périlleux
De fait, on relève d’emblée de nombreuses failles dans les angles d’attaque : accuser à la fois François Fillon d’être conservateur et trop dur dans ses réformes, c’est déjà contradictoire. Les termes d’ultralibéral, ultraconservateur ou ultra-catholique paraissent trop manifestement empruntés à l’arsenal rhétorique de la gauche pour convaincre des électeurs de droite. Le procès en « thatchérisme » aurait pu impressionner au milieu des années 1980, lorsque Margaret Thatcher – qui avait mis au pas les syndicats et vaincu les dictateurs argentins – faisait l’objet d’une détestation irraisonnée dans notre pays ; mais, trente ans plus tard, ce genre de procès ne peut impressionner personne, d’autant que les Français qui étaient déjà nés à cette époque voient mal le rapport avec le programme de François Fillon.
Sur la fin des 35 heures, la TVA, l’abolition de l’ISF, la sécurité, l’immigration et la politique étrangère, les positions sont si proches que toute tentative de guérilla à la marge paraît dérisoire. C’est aussi le cas de la loi sur l’IVG, qui peut difficilement servir de massue dès lors que Fillon déclare haut et fort avoir voté en sa faveur et ne pas songer à l’abroger. L’argument du soutien de l’extrême droite pour tenter de fasciser l’adversaire est une vieille ruse du Parti communiste recyclée par François Mitterrand, qui paraît aussi démodée qu’inopérante au sein de la droite modérée. Tout compte fait, le seul os à ronger reste le nombre de postes de fonctionnaire que l’on souhaite supprimer, mais on voit bien que tout chiffrage anticipé reste purement artificiel : il faudra être aux commandes et examiner de près tous les postes de la fonction publique pour déterminer la quantité d’emplois superflus qui se dissimulent derrière les emplois nécessaires.
Désespoir de cause
Alain Juppé semble bien conscient de tout cela, puisqu’il a recours à deux recettes généralement utilisées en désespoir de cause : la victimisation, qui lui permet de se poser en victime des attaques effectivement immondes dont il fait l’objet sur certains réseaux sociaux ; mais le problème, en l’occurrence, est qu’il est bien en peine de les attribuer à son adversaire tant elles sont en décalage avec le style policé de François Fillon. L’autre recette est l’insinuation : ne voulant pas assumer directement la responsabilité des attaques contre son concurrent par peur de se tirer une balle dans le pied, Alain Juppé a recours à des artifices tels que « J’ai entendu… », « Il paraît que… », « On m’a dit que », « Il doit clarifier sa position », etc. Tout cela aurait pu fonctionner face à d’autres adversaires, mais, devant un François Fillon terriblement flegmatique, qui méprise la basse politique et n’a pas varié dans son programme depuis deux ans, même ces ultimes techniques risquent de se révéler inopérantes.