En soutenant, au premier jour de son procès, qu’il n’avait pas dissimulé des fonds en Suisse pour échapper au fisc, mais pour aider au financement des futures campagnes électorales de Michel Rocard, Jérôme Cahuzac a lâché le nom de son ami Philippe Péninque. Une publicité dont se serait bien passé cet avocat de 64 ans. C’est d’abord un homme fort discret. C’est surtout un militant d’extrême droite, aujourd’hui proche de Marine Le Pen, après avoir œuvré dans l’entourage de son père. Un soutien, même involontaire, à un ancien Premier ministre socialiste ne doit guère enthousiasmer l’ancien chef de file du Groupe union défense (GUD), un groupuscule étudiant d’extrême droite.
En effet, le 26 novembre 1992, ce n’est pas Jérôme Cahuzac qui ouvre le compte 556405 à l’UBS à Genève, mais Philippe Péninque. Le futur ministre du Budget n’a qu’une procuration sur ce compte, qui est crédité de 285 000 francs français, avant d’être débité de 125 240 francs le 16 décembre 1992. Un retrait effectué en liquide. Ce n’est que l’année suivante que Jérôme Cahuzac ouvre le compte 557847 à son nom, toujours à l’UBS. L’argent partira plus tard chez Reyl, toujours à Genève, puis prendra le chemin de Singapour en 2009. Mais n’est-il pas incongru de la part d’un rocardien de confier une tâche aussi délicate que l’ouverture d’un compte en Suisse non déclaré à un militant d’extrême droite ?
Un virement de 92 000 euros en 2006
Les chemins de Cahuzac et de Péninque sur les bords du lac Léman se croisent à nouveau en 2006. L’avocat fiscaliste est alors l’ayant droit économique d’un compte Artec Assets Corp., ouvert cette fois à la banque Edmond de Rothschild, toujours à Genève, le 24 février 2006. Un compte nettement mieux garni que celui de Jérôme Cahuzac, puisqu’il va peser jusqu’à 15 millions d’euros. Comme l’a révélé Le Point, Artec Assets Corp. vire 92 000 euros sur le compte détenu par Jérôme Cahuzac le 15 mai 2006. À quoi ce généreux virement correspond-il ? Aux magistrats qui l’interrogent l’ancien ministre socialiste explique que ces fonds « correspondaient au remboursement d’un prêt qu’il aurait consenti en espèces en 1994 ou 1995 [à Philippe Péninque, NDLR] ». De son côté, l’avocat confirme cette version. Curieusement, Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire, habituellement fort pugnaces, ne remettent pas en doute ce scénario inhabituel. Met-on habituellement plus d’une décennie pour rembourser une dette à un ami ?
Pourtant, la justice française se garde bien de harceler les dirigeants de la banque Edmond de Rothschild afin de connaître les véritables activités d’Artec Assets Corp. et l’identité des propriétaires des fonds. Le cabinet d’avocats suisse qui a effectué les montages ne sera même pas interrogé. L’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel se contente de préciser que Philippe Péninque « a produit des documents justifiants d’importants transferts depuis son compte ouvert à la Bred à Paris vers le compte Artec en Suisse ». Selon un proche du dossier, Artec, société offshore, appartenait à trois personnes, et son activité aurait été liée à une affaire de bijouterie en or. Y avait-il un lien avec Jérôme Cahuzac ? On ne le saura vraisemblablement jamais. À moins que l’ancien ministre du Budget ne balance au tribunal dans les prochains une nouvelle « révélation ».