Procès du «Tribal Kat» : six à quinze ans de prison pour les pirates somaliens

Il y avait jusqu’alors une impression de raté dans le procès du Tribal Kat. Comme s’il était impossible pour la cour d’assises de Paris de statuer sur un crime si lointain, d’apaiser des victimes si meurtries, de comprendre comment on devient pirate en Somalie. «Il y aura un verdict aujourd’hui, mais il ne nous satisfera pas», disait encore la page Facebook des parties civiles avant la mise en délibéré. Plus de quatre ans après l’attaque du catamaran dans le golfe d’Aden et la mort de son skipper, Christian Colombo, après treize journées d’audience et neuf heures de délibéré, six jurés – trois hommes et trois femmes – ont finalement condamné, mercredi soir, les sept accusés somaliens à des peines de six à quinze ans de prison. La cour se retire, une des filles Colombo éclate en sanglots dans les bras de sa mère, Evelyne, rescapée de l’attaque.

Pendant deux semaines, la cour s’était concentrée moins sur des faits, dont on ne saura pas précisément le déroulement exact, que sur les conditions de vie des accusés. L’avocate générale, Sylvie Kachaner, pour laquelle «il n’existe pas de crime alimentaire», avait requis de lourdes condamnations – de seize à vingt-deux ans, avec interdiction définitive du territoire français. Ces «peines de sang», dénonçait MSabrina Goldman, l’une des avocates de la défense, ont toutes été rabaissées : quinze ans de réclusion pour Farhan Abdisalam Hassan et Ahmed Akid Abdullahi, quatorze pour Mohamed Ahmed Hersi, treize pour Brug Ali Artan, onze pour Mohamed Mousse Farah et Saïd Ahmed Djama, six pour Farhan Abshir Mohamoud. Ils ont été reconnus coupables de «détournement d’un navire en bande organisée ayant entraîné la mort», «d’enlèvement et séquestration en bande organisée», de «vol avec arme en bande organisée», mais ont été acquittés du chef «d’association de malfaiteurs», les jurés remettant en cause le caractère «professionnel» de ces pirates.

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«Veut-on une justice dure avec les faibles et faible avec les durs ?» demandait MThomas Heintz, l’avocat de Mohamed Mousse Farah, en référence à la condamnation du génocidaire rwandais Pascal Simbikangwa à vingt-cinq ans de prison, en 2014, dans la même salle d’audience. La manière dont a été jugé Farhan Abshir Mohamoud, le plus jeune, a montré «une bonne justice» selon son avocate, MElise Arfi, qui s’était interrogée au cours de sa plaidoirie sur «le sens d’une justice qui juge les restes d’un homme». On le voit pour la première fois en face, et, soudain, on se rend compte du visage poupin de ce mécanicien de 16 ans au moment des faits, jugé comme un majeur sur la base des expertises osseuses, opéré d’un poumon à son insu et devenu schizophrène en détention. «Pardon», «merci» : pour ses derniers mots, il a répété les mêmes que les autres, écoutant ensuite sagement, comme n’y comprenant rien, les dommages et intérêts demandés par MLionel Moroni, l’avocat d’Evelyne Colombo.

Le chemin sera long jusqu’à un retour en Somalie ou une sortie de prison, le pays restant en guerre depuis 1991 et aucun d’entre eux n’ayant de garantie de représentation en France pour bénéficier d’une libération anticipée. «Ils ont un avenir, mon frère n’en a plus», remarquait la sœur de Christian Colombo. Me Martin Reynaud, avocat de Farhan Abdisalam Hassan, rapportait quant à lui les mots de son client : «Il faut que les gens sachent qui je suis et ce que j’ai fait.» L’un et l’autre semblent avoir été entendus.

Pierre Benetti