Du 13 novembre au 22 mars, le lien était pressenti, il est désormais établi. L’identification des trois kamikazes qui ont tué au moins 31 personnes et en ont blessé 270 autres, mardi à Bruxelles, permet de connecter le double attentat de la capitale belge aux tueries de Paris et Saint-Denis.
Les frères El Bakraoui, qui se sont fait exploser à l’aéroport et dans le métro bruxellois, étaient recherchés par les polices européennes. L’un d’eux, Khalid, est soupçonné d’avoir loué, sous une fausse identité, l’appartement de Forest où s’était réfugié Salah Abdeslam pendant sa cavale. Bien plus en amont, il aurait aussi loué, en payant en liquide, une planque à Charleroi, sous le faux nom d’Ibrahim Maaroufi. C’est là qu’avait fait halte une partie des tueurs dans leur route vers Paris, le 12 novembre. Les traces du passage de Bilal Hadfi, l’un des kamikazes du Stade de France, et d’Abdelhamid Abaaoud, figure centrale des attentats, y avaient été retrouvées.
L’autre frère El Bakraoui, Ibrahim, a laissé derrière lui mardi un message en forme de «testament», selon le mot du procureur fédéral belge, Frédéric Van Leeuw, qui le relie à Salah Abdeslam : les enquêteurs ont retrouvé son ordinateur dans une poubelle située à proximité du logement qui a servi d’atelier de préparation des attentats. Le kamikaze apparaît paniqué, il dit être «dans la précipitation» et «ne plus savoir quoi faire», étant «recherché de partout».
Enfin, le troisième terroriste identifié du 22 mars, Najim Laachraoui, serait à la fois l’artificier et le coordinateur des attentats du 13 Novembre (lire page 4). Il a effectué un séjour en Syrie et Salah Abdeslam était sans doute chargé de le convoyer vers la Belgique quand ils ont été contrôlés à la frontière austro-hongroise, en septembre.
Cellules en gestation
Tous ces jeunes hommes, dont les photographies pixelisées composent les organigrammes que l’on retrouve dans les pages des journaux, formaient donc une seule et même cellule. Protéiforme, en recomposition permanente au gré des attaques ou des coups de filet, elle a sans doute été composée en Syrie. C’était même la mission d’Abdelhamid Abaaoud à Raqqa, d’après plusieurs jihadistes rentrés en France et débriefés par la DGSI. Là-bas, le Belge recrutait, entraînait et préparait le retour de combattants radicalisés en Europe. Il avait fini par venir lui-même en France pour participer aux massacres des terrasses des Xe et XIe arrondissement et projetait «de se faire exploser le 18 ou le 19 novembre à la Défense», selon le procureur de Paris, François Molins.
Autour de lui, Abaaoud avait agrégé un réseau d’une trentaine de jihadistes liés par les amitiés de quartier, la délinquance ou l’expérience initiatique du passage en Syrie.
Avec la mort des frères El Bakraoui et de Najim Laachraoui, cette cellule s’éteint-elle ? S’est-elle, en remplissant sa mission sanglante, vidée de ses membres ? Bien sûr, personne ne peut se risquer à l’avancer, même si seul un suspect identifié, Mohamed Abrini, est toujours dans la nature (il s’est volatilisé le 14 novembre). Pour autant, les contours du réseau restent flous et ils pourraient cacher d’autres complices, pour l’instant inconnus.
Mais surtout, d’autres cellules sont certainement en gestation. Depuis février 2016, 46 jihadistes sont revenus de Syrie en France (contre 11 départs dans l’autre sens) selon les chiffres du gouvernement. Tous ne rentrent pas pour commettre des attentats. Certains font défection, d’autres sont immédiatement repérés par les services de renseignement. Toutefois, les agents en sont persuadés, d’autres combattants sont présents en Europe, attendant une ouverture, une consigne, une date ou un lieu symbolique pour frapper.
Auditionné le 17 février devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Patrick Calvar, le patron de la DGSI, l’affirmait sans fard : «Nous disposons d’informations faisant état de la présence de commandos sur le sol européen, dont nous ignorons la localisation et l’objectif.»
Eléments manquants
Le 10 décembre 2015, Adel H., un Algérien de 28 ans, et Muhammad U., un Pakistanais de 22 ans, étaient interpellés à Salzbourg, en Autriche. Comme les deux kamikazes irakiens du Stade de France, ils étaient entrés en Grèce le 3 octobre via l’île de Leros, et disposaient de faux documents de voyage. Dès le lendemain de leur placement en garde à vue, des enquêteurs de la DGSI avaient filé à Salzbourg, persuadés qu’ils tenaient peut-être là des éléments manquants du commando du 13 Novembre. Dans leur téléphone, les agents avaient isolé un numéro turc. Le même avait été retrouvé griffonné sur un bout de papier qu’un kamikaze du Stade de France avait dans la poche. Signe que les investigations en cours pourraient réserver de nouvelles surprises.
Célian Macé , Willy Le Devin