Avec la fougue surjouée du général en chef lançant ses troupes vers la victoire, Nicolas Sarkozy invite ce week-end les cadres et les militants de son parti, Les Républicains (LR), à débattre du «projet collectif» qu’il espère mettre en œuvre quand sonnera, en 2017, l’heure de l’alternance. Candidat non déclaré, l’ancien chef de l’Etat parie toujours, en dépit des mauvais sondages, que sa position de chef de parti, rassembleur et pacificateur, lui permettra, au bout du compte, de prendre le dessus sur les candidats déclarés à la primaire de novembre 2016, principalement Alain Juppé, François Fillon et Bruno Le Maire.
Ce dimanche, il présente «le texte» qui sera débattu dans toutes les fédérations avant d’être amendé et surtout approuvé en avril par l’ensemble des adhérents de LR. Comme tous les textes mis au vote ces derniers mois, celui-ci sera sans doute plébiscité par plus de 90% des militants. Sarkozy veut croire que cela lui donnera une légitimité bien supérieure aux projets développés par Juppé, Fillon et Le Maire. Le moment venu, il prétend incarner le projet de «la famille» tandis que ses rivaux seraient engagés dans des aventures individuelles. «Il y aura une position, pas cinquante positions» et pas question d’attendre que les candidats à la primaire «daignent proposer leurs idées», a martelé Sarkozy, flattant ses supporters majoritairement nostalgiques du temps où le chef de la famille était le candidat naturel à la présidentielle. Dans les camps de Juppé, Fillon et Le Maire, on ne prend même plus la peine d’écouter ces rodomontades.
«Il ne s’est rien passé, c’est donc une réussite»
Car en fait de construction collective, le Conseil national de samedi se sera résumé à une succession de prises de paroles de leader de la droite. Qu’importe. «Cette journée est succès», se félicitait-on pourtant en soirée dans l’entourage de Nicolas Sarkozy. Loin de l’emphase de leur mentor, Brice Hortefeux et Éric Ciotti ont une conception réaliste et un brin cynique du succès : «il ne s’est rien passé, c’est donc une réussite». De fait, cette grand-messe à laquelle participent plus d’un millier de cadres locaux de LR aurait fait événement si Juppé, Fillon et Le Maire l’avaient boycottée, ou, mieux encore, si l’un d’eux s’était fait siffler par la foule sarkozyste, comme cela s’est vu dans le passé.
Rien de tel en effet. Tous les chefs de la droite étaient présents samedi porte de Versailles, y compris Xavier Bertrand et Christian Estrosi élus présidents de région avec les voix de gauche, ce qui leur a valu d’être décrits comme atteint du syndrome de Stockholm par l’ancien chef de l’État. François Fillon a pu prendre la parole et dérouler, sans déclencher aucune huée, un programme de rupture qu’il entend défendre devant les Français et non pas devant le parti présidé par son rival.
Même l’élection à la présidence du Conseil national (poste purement honorifique laissé vaquant par la démission de Jean-Pierre Raffarin) s’est soldée, sans surprise, par une courte victoire du candidat de Sarkozy, Luc Chatel sur Michèle Alliot-Marie qui tentait, à 69 ans, un come-back embarrassant. Une défaite de Chatel aurait été perçue, à juste titre, comme un revers pour le patron du parti.
Brice Hortefeux et Éric Ciotti sont toutefois trop modestes : il ne s’est pas exactement «rien passé» à ce Conseil national. De nombreux orateurs ne se sont pas gênés pour défier ouvertement le chef. Déroulant fiévreusement son anaphore sur ce «qu’est» et sur ce «que n’est pas» sa «famille politique» Henri Guaino a jugé «honteux qu’on ne propose pas un repas de substitution aux enfants dans les cantines». De son côté, le député de la Drôme Hervé Mariton, candidat à la primaire, a fait le serment de «tenir» sur l’abrogation de la loi Taubira, promesse reniée par Sarkozy.
Ecartée de la campagne des régionales après ses propos sur «la race blanche», Nadine Morano a emballé beaucoup de militants avec son apologie des «racines chrétiennes», menacées par «l’invasion» de migrants dans une Europe «impuissante». Après avoir ostensiblement échangé une bise chaleureuse avec l’impertinente, Sarkozy s’est dit «très heureux de la liberté de ton qui règne dans ce conseil national». A en juger par sa mine crispée, il sera nettement moins heureux quelques minutes plus tard quand Jean-François Copé prendra la parole.
Spectre accusateur
L’ancien patron de l’UMP s’exprimait pour la première fois depuis que cette «triste affaire Bygmalion» l’a poussé à la démission : «Je n’ai pas oublié cette grande victoire aux élections municipales dont nous étions si fiers les uns et les autres», a-t-il commencé. Façon de rappeler à Sarkozy, qui l’oublie systématiquement, que l’UMP n’a pas attendu son retour et les départementales de mars 2015, pour renouer avec le succès. Sous le regard las de Sarkozy, Copé s’est fait applaudir quand il a dit son émotion de n’avoir pas été mis en examen par les juges qui enquêtent depuis près de deux ans sur les comptes de la campagne présidentielle de 2012.
Tel un spectre accusateur, Copé semble déterminé à se rappeler encore et toujours au bon souvenir de son successeur à la présidence de l’UMP. Sarkozy s’est invité ce dimanche soir au journal de TF1 pour présenter la ligne qu’il aura défini et que les militants ne manqueront pas de plébisciter dans quelques semaines. A la même heure, Copé sera sur France 2. Probablement pour officialiser sa candidature à la primaire. Justement ce que Sarkozy s’interdit de faire pour rester le plus longtemps possible, «le chef de la famille».
Alain Auffray