Nom de code : BIA 10-2474. C’est la molécule testée dans le laboratoire Biotrial, à Rennes, où un patient est mort dimanche à la suite d’un essai clinique avec ce médicament, cinq autres étant toujours hospitalisés. Un événement rarissime. Trois enquêtes sont désormais en cours, pour essayer de comprendre ce qui a bien pu se passer.
Des perquisitions ont eu lieu ce week-end. En particulier dans les locaux du centre de recherche Biotrial, où étaient menés les essais pour le compte du laboratoire pharmaceutique portugais Bial. Les lots de médicaments incriminés ont été saisis. «A l’heure qu’il est, nous restons toujours dans un cadre d’événements imprévisibles, inexpliqués et inexplicables», a déclaré le directeur général de Biotrial, François Peaucelle.
Dans cet essai dit de phase 1 (1), les choses se sont déroulées selon un «process» classique. Les volontaires étaient rémunérés un peu plus d’un millier d’euros. Les six victimes sont des hommes, âgés de 28 à 49 ans, faisant partie d’un groupe de 108 volontaires sains : 24 ont reçu des placebos, et 84 autres personnes cette molécule. «La dose maximale autorisée dans cet essai était loin d’être atteinte, a précisé François Peaucelle, aucun effet d’alerte particulier n’a été observé chez les patients qui ont reçu des doses inférieures.» Les premiers symptômes du patient aujourd’hui décédé sont survenus dimanche 10 janvier. Il a alors été hospitalisé d’urgence au CHU de Rennes. «C’est lundi matin que son état de santé s’est dégradé subitement», a détaillé le directeur de Biotrial, entreprise spécialisée dans les essais cliniques. Des essais que lui commandent des industriels pharmaceutiques pour leur mise au point de nouvelles molécules.
Le professeur Bernard Bégaud connaît bien le monde des tests thérapeutiques. Pharmacologue, il dirige à l’université de Bordeaux la plus importante unité en France de pharmaco-vigilance, et est, de ce fait, devenu un des meilleurs connaisseurs des médicaments, tant dans leur mise au point, que lors de leur arrivée sur le marché.
Quand vous avez appris ce qu’il s’est passé au laboratoire Biotrial, avez-vous été surpris ?
Oui, car un accident de cette gravité est rarissime. Je le pense d’autant plus qu’entre 1994 et 2008, j’ai présidé le groupe d’essais cliniques à l’Agence du médicament qui suivait les effets indésirables des nouvelles molécules en lien avec les promoteurs de l’essai. Nous n’avons jamais eu à gérer d’accidents aussi graves. Je me souviens d’un mort en Grande-Bretagne, après un essai de phase 1, mais le patient en question avait caché qu’il participait parallèlement à un autre essai, et c’est l’interaction inédite de ces deux agents qui a provoqué le décès.
Cet essai de phase 1 s’est déroulé de façon apparemment classique…
Oui. Mais ma deuxième surprise est une apparente contradiction sur le fait que cet essai de phase 1 – d’analyse de toxicité du produit – a concerné, selon l’entreprise, 128 sujets, dont 90 ayant reçu cette molécule. D’ordinaire, ces essais de phase 1 concernent moins de patients. Mais précisons tout de suite que ces essais de phase 1 sont indispensables, car il faut bien commencer à un moment ou à un autre de tester le produit sur l’homme : il n’y a pas d’autre alternative.
Et sur la méthodologie de l’essai ?
On n’en sait pas encore grand-chose. A entendre les déclarations du laboratoire, ce sont uniquement des hommes qui seraient concernés, certains ayant reçu des doses répétées de cette molécule, avec des dosages différents, d’autres ayant pris un placebo, ce qui est également inhabituel dans un essai de ce type. Les essais de phase 1 sont normalement basés sur une augmentation progressive des doses, avec un contrôle le plus strict possible, de manière à atteindre le niveau qui reste non-toxique, la dose maximale tolérée. La règle, évidemment, est de suivre au plus près l’apparition de tout signe avant-coureur d’effets indésirables. On ne sait pas, dans le cas de Rennes, quel est exactement le protocole suivi. Est-ce un protocole classique, où l’on monte progressivement la dose, en attendant de voir s’il se passe quelque chose ? Ou bien a-t-on fait, comme cela se pratique de plus en plus, des groupes parallèles, où l’on donne simultanément des dosages différents, voire pour certains des dosages élevés d’emblée ? Cette pratique se développe aujourd’hui, et pour certains experts, ce genre de méthodologie peut poser problème. Dans l’histoire de Rennes, si tel est le cas, cela nécessitera peut-être d’encadrer plus fortement ces nouvelles méthodologies.
Dans ces essais de phase 1, sait-on pour quelles indications la molécule est essayée ?
Non, car ce n’est pas le but. La seule question, c’est de savoir si la nouvelle molécule se révèle ou pas toxique chez l’homme. Ce n’est qu’ensuite, lors des essais de phase 2 ou 3, que l’on met le produit au regard d’une indication précise.
Mais connaît-on, même un peu, l’utilité de cette nouvelle classe de médicaments potentiels ?
Ce BIA 10-2474 fait partie d’une nouvelle classe, qui agit sur le système endocannabinoïde. Des molécules qui peuvent agir via des récepteurs cellulaires sur l’humeur, la douleur, mais aussi sur la protection des cellules nerveuses. Elles sont aussi expérimentées contre le vomissement, en particulier pour des patients qui en souffriraient au cours d’une chimiothérapie. Ces molécules sont, de fait, encore mal connues, mais elles sont assez prometteuses.
Un mort donc. Est-ce que cela veut dire que le patient avait des antécédents cliniques particuliers ?
Les effets indésirables révèlent toujours une particularité du sujet, connue ou pas par celui-ci. Mais dans le cas présent, le fait que cinq voire six patients soient touchés exclut aussitôt cette explication. Et renvoit à l’effet toxique.
Certains observateurs se sont étonné que le laboratoire ait prévenu si tardivement les autorités sanitaires, soit cinq jours après l’accident…
Si tel est le cas, oui. Tout promoteur, tout investigateur d’un essai doit en effet déclarer les effets indésirables nouveaux, et le faire «immédiatement», selon la loi, en cas d’effets graves. Reste qu’il y a une certaine ambiguïté sur le terme «immédiatement». Pour autant, dans les faits, cela ne change pas grand-chose. Face à un événement indésirable grave, le promoteur doit tout arrêter sur le champ et rappeler les patients du test. Le bon sens veut qu’il n’attende pas la réaction des autorités. C’est ce qui semble avoir été fait.
Dans ces essais, peut-on évacuer la question de l’argent et, entre autres, la rémunération que touche le patient ?
Cette question est importante. En France, la rémunération est plafonnée à 4 500 euros par an. Une limite que l’on retrouve dans tous les pays européens, car cette mesure découle d’une directive européenne, transposée en 2004. Ce texte prévoit aussi la création d’un registre des volontaires sains, cela pour éviter la professionnalisation de ceux qui y participent. Des limites claires et saines.
Mais que se passe-t-il ailleurs ? En Inde, par exemple ?
II faut arrêter de toujours citer l’Inde comme un pays à part. Dans quelques années, avec la Chine, ce seront les deux plus grands producteurs mondiaux de médicaments. Ce ne sont pas, loin s’en faut, des amateurs. Pour autant, c’est exact, les essais dans ces pays coûtent beaucoup moins chers aux grandes firmes pharmaceutiques, qui ont tendance à les délocaliser. Cela concerne aussi bien les essais de phase 1 que ceux de phase 2 ou 3, qui coûtent beaucoup plus cher et nécessitent davantage de patients. Aujourd’hui, la réglementation est normalement unifiée au niveau mondial, des garanties existent. Sont-elles toujours appliquées ? C’est moins sûr.
(1) Avant toute autorisation de mise sur le marché, un nouveau médicament doit passer trois types d’essais. D’abord, un essai dit de phase 1 sur la toxicité, puis de phase 2 et 3 concernant l’efficacité devant une pathologie et le bon dosage.
Eric Favereau