Cet appel peut changer la donne de la présidentielle. Il peut surtout rendre au débat électoral sa pertinence et sa force démocratique. C’est pourquoi Libération a décidé de le publier en lui donnant tout la place qu’il mérite pour vivifier le débat civique en France. Déjà, en 2011, le journal avait initié la mécanique de la primaire au côté de l’association Terra Nova. Organisé à la fin de l’été, le scrutin avait remporté un grand succès démocratique. Il s’impose encore plus cette fois-ci. La force du Front national a bouleversé les règles du jeu. Un tiers des Français environ le soutiennent : énorme succès pour Marine Le Pen, qui lui assure en principe la présence au second tour d’une présidentielle. Mais comme l’a montré le scrutin des régionales, les deux autres tiers des Français ne veulent surtout pas d’un exécutif lepéniste. Le premier tour de 2017 sera surdéterminé par ce refus inquiet. Tout candidat minoritaire, toute voix discordante ou originale se retrouvera suspecte aux yeux d’une partie de l’électorat. Celui-là, ou celle-là, divise son camp ! Danger ! Craignant de voir le champion de la droite ou celui de la gauche éliminé dès le premier tour, l’électeur dissident abandonnera celui qui représente ses idées et rejoindra celui qui paraît le mieux à même de figurer au scrutin final. Le «vote utile» se concentrera sur un candidat par défaut, qui rendra la contestation oiseuse mais représentera mal ceux qui voteront pour lui. Et si le vote utile ne se manifeste pas, la gauche sera éliminée comme en 2002. Le débat se retrouvera encadré, étouffé, anémié par les calculs froids des acteurs et des électeurs, enfermés dans cette mécanique bizarre qui veut faire entrer le tripartisme dans un système conçu pour le bipartisme. Le camp qui se divisera au premier tour disparaîtra et, avec lui, les idées qu’il représente.
Comme la gauche en 2012, la droite a trouvé la parade : le débat aura lieu au cours d’une primaire libre, qui désignera le candidat commun, Sarkozy, Juppé ou un autre, dont le camp conservateur espère qu’il pourra ensuite franchir sans encombre l’obstacle du premier tour. L’appel pour une primaire à gauche que nous publions peut rétablir l’équilibre. Divisée, la gauche court grand risque d’être effacée d’emblée. Unie, elle gagne son billet pour le second tour. Dotés chacun d’un seul candidat désigné dans un vote démocratique, les deux camps, droite et gauche, auront alors les mêmes chances. Ils peuvent même, rêvons un peu, surclasser tous deux Marine Le Pen et assurer la présence et de la droite et de la gauche républicaines au second tour. Pour garantir le débat et sauver la gauche, donc, il faut une primaire de toute la gauche. Il ne s’agit pas seulement de logique électorale. Les décisions sociales-libérales et régaliennes prises par le gouvernement Valls, autant que l’agressivité stérile de Jean-Luc Mélenchon, ont gelé le débat de fond à gauche. Les uns sont accusés de trahir, les autres de jouer le pire. Il y a là une querelle doctrinale et programmatique à vider. Pourquoi ne pas le faire au grand jour ? D’autant qu’au second tour de 2012, Mélenchon, aussi critique fut-il envers Hollande, avait appelé à voter pour lui sans une hésitation. Il y a donc bien quelque chose de commun à toute la gauche, qu’il faut définir, au-delà des divergences légitimes. Programme de réforme ou programme de rupture ? Transformation sociale et écologique ou bien aménagement réaliste et social du système de marché ? Europe orthodoxe ou Europe sociale ? Macron ou Duflot ? Mélenchon ou Valls ? Dans un premier tour dominé par la peur du FN et le péril de l’élimination, ce débat sérieux ne pourra avoir lieu. Il faut le lancer avant. Et Hollande, faisant le geste démocratique, quoique président sortant, de se soumettre à un scrutin préalable, en tirera, quel que soit son destin, un bénéfice moral. Il laissera le débat se développer et l’électeur choisir lui-même son champion sans passer par le tamis incertain des partis. Décidément, il faut une primaire de toute la gauche.
Laurent Joffrin