En entendant lundi soir Manuel Valls annoncer sa candidature à la présidence de la République, on se rappelait l’époque où il incarnait l’espoir d’un aggiornamento du socialisme. Il disait, parlant du socialisme : « Ça a été une merveilleuse idée, une splendide utopie. » Il ajoutait : « Il faut tout remettre en cause… Le mot de socialisme réveille toujours en moi des trésors d’émotion. Mais cette émotion est trompeuse, si elle obère l’action… » Il disait cela, c’était lucide, enthousiaste, intelligent, courageux. Cela ne nous concernait pas directement, nous ne sommes pas socialiste, mais on aimait l’idée d’une gauche moderne, nécessaire à l’équilibre démocratique. Dans les années qui suivirent, on a continué à respecter, voire à admirer l’énergie que déployait cet homme-là pour réinventer la gauche, pour rénover le socialisme, pour le libérer de ses pesanteurs et de ses archaïsmes, à l’image de ce qu’avaient fait Blair et Schröder, chacun à sa façon. Et le temps a passé. Et on a pu croire, il y a bientôt trois ans, lors du virage libéral opéré par Hollande, que le souhait de Valls allait connaître un début de réalisation. Et l’on sait ce qu’il est advenu de cette espérance : les résistances que cette promesse a rencontrées à gauche, la fronde que cela a suscitée, les hésitations, les pas en arrière, les maladresses, les ambiguïtés qui s’en sont ensuivis du côté du gouvernement. Et la gauche en miettes.
Lui qui incarnait l’avenir n’a utilisé que le langage du passé
On se rappelait tout cela en entendant Manuel Valls lundi soir. Quel échec ! Quelle désillusion ! Il y avait quelque chose de pathétique dans l’effort qu’il faisait pour donner le change. Le voilà qui se lance dans une aventure aléatoire où l’on distingue mal ce qui le motive, de la part d’ambition personnelle ou de la part de dévouement à la cause. Comment peut-il croire qu’il est le rassembleur qu’il se veut être, lorsqu’on sait les hypothèques qui pèsent sur son dessein ? C’est un rêve qu’il a livré, rien que cela, sur les ruines d’un quinquennat désastreux, c’est une utopie, cette « splendide utopie » qu’il dénonçait avant son accession au pouvoir. Lui qui incarnait autrefois l’avenir n’a utilisé lundi que le langage du passé, celui de la légende socialiste. Tout y était : l’emphase, le lyrisme désuet, le vocabulaire inépuisable du sentiment et de la morale, la vanité des mots. Écoutons-le : « La gauche est grande et belle », dit-il au moment où elle donne d’elle-même une image mortifère. Écoutons-le énumérer la litanie des lieux communs, des références grandiloquentes, des concepts éculés de la mythologie républicaine et démocratique. Écoutons cette énormité d’un incroyable cynisme, qu’il lance comme un hommage : « La gauche, c’est le débat », alors que c’est justement le débat qui est en train de tuer la gauche, c’est le débat interne à la gauche qui, depuis bientôt cinq ans, paralyse la France. C’est vraiment trop d’arrogance ou de frivolité ou d’inconscience. Jusqu’à quand vont-ils nous faire payer leurs discussions byzantines sur leur sexe idéologique ?
Qu’il informe le pays de son projet politique
On veut bien admettre que, campagne électorale oblige, l’annonce d’une candidature puisse s’accompagner d’une exhortation à l’enthousiasme. Encore faut-il que celui-ci prenne en compte la réalité du contexte. On attendait de Manuel Valls un minimum d’humilité après la déroute de la gauche. On est frustré. On attendait ensuite qu’il définisse les « valeurs » qu’il défend. On est tout aussi frustré. Car, paradoxalement, il y en a trop. Elles font ratatouille, et elles sont communes à la plupart des familles politiques, en ces temps de confusion démocratique. Ce que l’on attend de lui, enfin et surtout, c’est que dans les quelques semaines qui nous séparent de la primaire, il informe le pays de son projet politique. Ou bien du sien propre, fidèle aux promesses novatrices que portaient ses propositions passées et nourri de ses récentes expériences. C’est ce que l’on souhaite à la gauche. Ou bien d’un projet rassembleur issu d’une série de compromis passés avec ses concurrents. C’est ce que l’on redoute pour la gauche, mais cela semble très aléatoire. Car, quoi qu’il en soit, il est fortement douteux que l’un ou l’autre de ces projets emporte l’élection présidentielle ! Dans tous les cas de figure, l’ambition de l’ancien Premier ministre est illusoire.