Ou en est la dignité ? Je ne sais plus. Cet oubli de toute dignité, cet engourdissement progressif des sentiments nobles ne se remarque pas seulement chez les jouisseurs des classes aisées. L’homme du peuple aussi est atteint. Je connais bien des petits ménages où pourrait régner le bonheur, mais où vous verriez une pauvre mère de famille qui n’a que peine et chagrin jour et nuit, des enfants sans souliers et souvent de gros soucis pour le pain. Pourquoi? Parce qu’il faut trop d’argent au père. Pour ne parler que de la dépense en alcool, chacun sait les proportions qu’elle a atteintes depuis vingt ans. Les sommes englouties par ce gouffre sont fabuleuses: deux fois la rançon de la guerre de 1870. Combien de besoins légitimes on aurait pu satisfaire avec ce qui a été jeté en pâture aux besoins factices? Le règne des besoins n’est pas celui de la solidarité, bien au contraire. Plus il faut de choses à un homme pour lui-même, moins il peut faire pour le prochain, même pour ceux qui lui sont attachés par les liens du sang. Diminution du bonheur, de l’indépendance, de la délicatesse morale, voire des sentiments de solidarité, tel est le résultat du règne des besoins. On pourrait y ajouter une multitude d’autres inconvénients dont le moindre n’est pas l’ébranlement de la fortune et de la santé publiques. Les sociétés qui ont de trop grands besoins s’absorbent dans le présent, elles lui sacrifient les conquêtes du passé et lui immolent l’avenir. Après nous le déluge! Raser les forêts pour en tirer de l’argent, manger son blé en herbe, détruire en un jour le fruit d’un long travail, brûler ses meubles pour se chauffer, charger l’avenir de dettes pour rendre agréable le moment actuel, vivre d’expédients, et semer pour le lendemain des difficultés, les maladies, la ruine, l’envie, les rancunes,… on n’en finirait pas si l’on voulait énumérer tous les méfaits de ce régime funeste. Au contraire, si nous nous en tenons aux besoins simples, nous évitons tous ces inconvénients et nous les remplaçons par une multitude d’avantages. C’est une vieille histoire que la sobriété et la tempérance sont les meilleures gardiennes de la santé. À celui qui les observe elles épargnent bien des misères qui attristent l’existence; elles lui assurent la santé, l’amour de l’action, l’équilibre intellectuel. Qu’il s’agisse de la nourriture, du vêtement, de l’habitation, la simplicité du goût est en outre une source d’indépendance et de sécurité. Plus vous vivez simplement, plus vous sauvegardez votre avenir. Vous êtes moins à la merci des surprises, des chances contraires. Une maladie ou un chômage ne suffisent pas pour vous jeter sur le pavé. Un changement, même notable, de situation ne vous désarçonne pas. Ayant des besoins simples, il vous est moins pénible de vous accommoder aux chances de la fortune. Vous resterez un homme même en perdant votre place ou vos rentes, parce que le fondement sur lequel repose votre vie n’est ni votre table, ni votre cave, ni votre écurie, ni votre mobilier, ni votre argent. Vous ne vous comporterez pas dans l’adversité comme un nourrisson auquel on aurait retiré son hochet ou son biberon. Plus fort, mieux armé pour la lutte, présentant, comme ceux qui ont les cheveux ras, moins de prise aux mains de l’adversaire, vous serez en outre plus utile à votre prochain. Vous n’exciterez ni sa jalousie, ni ses bas appétits, ni sa réprobation par l’étalage de votre luxe, par l’iniquité de vos dépenses, par le spectacle d’une existence parasitaire; et moins exigeant pour votre propre bien-être vous garderez des moyens de travailler à celui des autres. Toute cette réflexion me vient de ma participation au séminaire de Deauville sur l’avenir du devoir. Si vous souhaitez en savoir plus, suivez le lien vers le site de l’organisateur.
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