Primaire de la gauche : pourquoi le débat fut-il soporifique ?

Morne débat. La première joute de la primaire de la gauche entre les sept candidats a laissé les commentateurs sur leur faim. « Vivement dimanche », plaisante Yann Marec du Midi libre, qui a trouvé au premier débat des airs de « grande réunion de famille. Tous d’accord sur le fond au moment du plat de résistance et quelques chamailleries le temps du dessert. L’unanimité sur la politique de François Hollande en matière de sécurité aura été un exemple de solidarité. » Il est tout de même parvenu à trouver une vertu à la soirée : « En réalité, les débats d’hier auront servi à montrer où battait le plus fort le cœur de la gauche sous les spots du plateau. À ce jeu, nul doute que Benoît Hamon aura marqué le plus de points pour le peuple orphelin des promesses non tenues de François Hollande. Vincent Peillon a montré une vision intelligente de la France de demain pendant que Manuel Valls tentait de défendre un bilan mitigé. » Mais, selon lui, « il en faudra bien plus pour fixer l’opinion. Les prochains débats serviront à marquer davantage les lignes de fractures. »

« Les débats semblaient aseptisés, chacun essayant de rester dans son couloir et évitant absolument la polémique et les interpellations », constate Jean-Marcel Bouguereau (La République des Pyrénées). La faute aux règles aberrantes de ce débat : 1 minute trente pour répondre, 45 secondes pour se répondre ! Résultat, « un débat haché, les problèmes étant saucissonnés, les candidats n’ayant guère le temps de développer ou se perdant dans des détails gestionnaires. Où étaient le souffle, la vision, les projets ? Heureusement restent encore deux débats », conclut-il, dans un bel élan d’optimisme.

Des désaccords de fond

« Ce fut un débat d’économistes, grave, sobre, plus ou moins sérieux selon les candidats et sans grandes aspérités », pense également Hubert Coudurier du Télégramme. Un paradoxe, car il y a bien une sacrée « différence entre les partisans de raser gratis et ceux qui veulent maintenir les grands équilibres. Entre Hamon et Bennahmias, favorables à un revenu universel au montant astronomique, 400 ­milliards d’euros (soit les deux tiers des transferts sociaux). Sans compter les effets pervers sur la notion de travail. Ou Valls, Montebourg et Peillon, conscients que l’actuel président n’a pas seulement payé la hausse du chômage mais aussi celle des impôts. »

Dans L’Alsace, Laurent Bodin aussi a su discerner entre les candidats, des désaccords de fond : « Dès la première question, portant sur le bilan du quinquennat de François Hollande, les divergences ont éclaté au grand jour. Montebourg, de Rugy, Hamon et Peillon ont été critiques tandis que Bennahmias et Pinel trouvaient des points positifs et Valls exprimait sa fierté. La suite fut du même tonneau : Bennahmias et Hamon défendent un revenu universel que les autres jugent au mieux inadapté, au pire dangereux ; Montebourg veut abroger la loi travail, qui est l’un des marqueurs de l’action de Valls à Matignon… Plus encore que lors de la primaire de la droite, pratiquement tous les sujets ont donné l’occasion aux candidats de se démarquer les uns des autres. C’est bel et bien un choix de personnes mais aussi d’idéologies auquel sont conviés les sympathisants de gauche dans dix jours. »

Même analyse de la part de Bernard Stéphan, dans La Montagne. Selon lui, « tout cela ronronnait jusqu’au moment où la loi travail est venue comme le grand contentieux du quinquennat. Benoît Hamon et Arnaud Montebourg ont sonné la charge en dressant implicitement le procès de Manuel Valls sur ce dossier. Là, on venait sur le bilan et sur le vrai clivage qui traverse le PS. On était au cœur du débat, celui qui va peser sur le choix des électeurs de gauche. »

Le revenu de base : un vrai débat caricaturé ?

Un « cœur du débat » que résume Hervé Chabaud dans L’Union : « Dans leur approche d’une société qu’ils estiment tous en mutation accélérée en raison de la rupture économique, leur approche n’est pas la même. Lorsque Benoît Hamon veut maîtriser la transition pour éviter la régression et plaide en faveur du revenu universel d’existence, il n’est pas contredit par Jean-Luc Bennhamias, mais ni Vincent Peillon, ni Manuel Valls ou François de Rugy ne sont en phase sur la façon d’adapter la solidarité dans cette société bousculée et malade du chômage. »

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Mais sur ce sujet, Laurent Joffrin remet les pendules à l’heure. Car si les candidats qui s’affrontaient jeudi ont eu le mérite de discuter du sujet, les termes du débat étaient mal posés, selon lui. « Inénarrable gauche française… La voilà lancée dans un débat acerbe sur le « revenu de base », agitant symboles et arguments à l’emporte-pièce, sans tenir compte des discussions qui ont eu lieu depuis au moins trente ans dans plusieurs pays. Le « revenu de base » a d’abord un fondement philosophique et moral : dans les sociétés riches, il est insupportable qu’une partie des citoyens, quelle qu’en soit la raison, vive avec un revenu de misère. L’utopie concrète est bien celle-là : comme membre de la communauté humaine, comme usufruitier de la planète, tout citoyen a le droit de vivre avec des moyens décents. Limités, modestes, mais décents. Telle est la perspective ouverte par le revenu de base, seulement esquissée avec des institutions comme le RSA ou le smic.

Certains lui opposent le grand péché idéologique : certains libéraux parlent eux aussi du revenu de base. Vade retro ! On oublie de préciser que le projet libéral, proposé à l’origine par Milton Friedman, table sur une privatisation générale du social, et n’a donc pour l’essentiel rien à voir avec les propositions discutées à gauche. D’autres parlent de résignation au chômage, ou bien des surfeurs de Biarritz qu’on subventionnerait à ne rien faire ; d’autres encore de ces femmes qu’on voudrait renvoyer à la maison. » Un débat caricatural, en un mot.

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Querelle d’ego sur fond d’échec annoncé

Selon Le Monde – dans un éditorial écrit avant le débat –, cette primaire reste essentiellement une question de personnes. Une lutte entre des candidats « affaiblis et divisés. Affaiblis parce que les principaux protagonistes – Manuel Valls, Arnaud Montebourg, Benoît Hamon et Vincent Peillon – ont été associés à l’exercice du pouvoir depuis cinq ans et sont tous comptables du bilan de François Hollande. Ils s’en défendront avec plus ou moins de bonne foi, mais ils portent comme une croix ces cinq années de désillusion, de déception et de discrédit. Ils sont, en outre, divisés par des rivalités personnelles sans fond et sans fin qui donnent à leur compétition les allures d’un combat de coqs et laissent mal augurer de leur rassemblement final derrière le vainqueur de la primaire. »

Quant à Christophe Bonnefoy, il juge dans Le Journal de la Haute-Marne que l’exercice de la primaire est quasi impossible en raison de la déliquescence du PS. « C’est en effet sur la base d’échecs successifs, dont certains des sept candidats ont été acteurs, qu’ont été développés les arguments. Pas simple. D’autant moins facile que deux hommes ont, eux, déjà compris à quel point le PS était malade et savent en profiter. Jean-Luc Mélenchon a le vent en poupe. Tout comme Emmanuel Macron, qui de plus en plus, pense qu’il peut créer la surprise en avril. Autant dire que les deux prochains débats devront être d’une tout autre teneur. En tout cas si le vainqueur de la primaire veut envisager devenir celui de la présidentielle. »