Primaire de la gauche : et si la fusée se transformait en galère ?

Nous n’en sommes encore qu’aux hypothèses, mais elles s’annoncent moroses pour Manuel Valls et Solférino. Que se passera-t-il si le candidat désigné par le scrutin de janvier ne parvient pas à distancer Emmanuel Macron dans les sondages ? Qui serait responsable d’un probable 21 avril ? Et quid d’une faible participation à la primaire du 22 janvier ? De quelle dynamique disposera le candidat désigné par de maigres troupes de sympathisants ? Et au terme d’une campagne éclair d’à peine quelques semaines ? Les éditorialistes reviennent sur ce scrutin conçu pour asseoir la légitimité d’un candidat et qui pourrait tourner au fiasco pour les socialistes.

Premier problème souligné par Olivier Pirot dans La Nouvelle République du Centre-Ouest : les délais, extrêmement courts. « Dans quel état de forme vont arriver les candidats de la primaire de la gauche ce jeudi pour ce premier débat ? Quatre débats en quinze jours, deux tours d’élections que les protagonistes aborderont en ayant déjà aligné les meetings, les réunions publiques, les plateaux télés et les émissions de radio. Le tout dans un temps très restreint […] Avant le premier tour de la primaire de la droite, il s’était écoulé quasiment un mois entre le 1er et le 3e débat. De quoi prendre le temps de digérer et d’observer la montée en puissance de François Fillon. Cette fois-ci […], on peut se demander ce qu’au final les électeurs retiendront du processus de cette Belle Alliance populaire calibrée au départ pour que François Hollande y participe. En tout état de cause, le vainqueur devra sûrement faire preuve de beaucoup de pédagogie et de clarté pour s’extirper de ce maelstrom annoncé. »

« Deux rock stars »

Deuxième obstacle, la participation, qui pourrait ne pas être à la hauteur, s’inquiète Florence Chédotal dans La Montagne: « La primaire pourrait jouer un bien mauvais tour au camp socialiste […] Une primaire devant servir à compter ses troupes et s’imposer au sein d’une force politique, ce serait un naufrage assuré pour Solférino si les électeurs boudaient les bureaux de vote. Car la politique est une affaire de dynamique […] Pour l’heure, à regarder le taux de remplissage des salles de meeting et le nombre de spectateurs refoulés faute de place, il semblerait qu’elle soit du côté de l’insoumis Mélenchon et du libéral Macron […] Ces deux visages d’une gauche irréconciliable, mais dont la dynamique électorale est potentiellement destructrice pour le PS, si elle devait durer. Deux rock stars qui parasitent avec une délectation assumée cette primaire, alors que les grands débats vont débuter […] »

Troisième enjeu, l’incertitude totale dans laquelle sont les observateurs quant à l’issue de la bataille. Dans Midi Libre, Yann Marec agite le spectre de « la malédiction des favoris » à l’avant-veille du premier débat qui va opposer les candidats. « Attention danger. Pour les sept candidats à la primaire, la semaine qui s’avance ressemble au décollage d’une fusée […] Tout va dépendre de l’air du moment. Pour le favori Manuel Valls parti à la conquête de toutes les étoiles du parti, chaque mot compte. Entre des propositions séduisantes et un semblant de reniement, l’exercice est complexe. À tel point que le Premier ministre, qui pourtant avait juré qu’il ferait jouer son droit de réserve, est venu lui taper la claque. Alors quid des outsiders ? Arnaud Montebourg et Benoît Hamon possèdent un coup d’avance avec une stratégie parfaitement lisible : retrouver le cœur de la gauche. Ça plaît. C’est efficace. Et du coup, cette primaire paraît incertaine. En tout cas, les cartes sont tellement rebattues que le favori pourrait tomber. Comme si la malédiction des favoris de 2016 allait frapper. »

Cette menace qui plane sur la primaire socialiste a poussé le Premier ministre, « qui ne devait pas s’impliquer dans la primaire [à monter] en première ligne, au secours de son prédécesseur à Matignon », souligne Hervé Chabaud dans L’Union/L’Ardennais. « […] À Évry-Courcouronnes, on a usé de superlatifs capables de transformer l’ancien chef du gouvernement en étoile de la Belle Alliance populaire dont l’éclat resplendira demain dans les urnes […] Si le Premier ministre ne s’imaginait pas en porte-parole de son aîné, il l’est devenu par devoir et surtout par son appétence douce pour passer à la moulinette l’ambitieux Macron […] Cette prise de position avant la succession de débats […] répond au calendrier de soutien d’urgence alors qu’ils sont nombreux à vouloir faire payer à Valls le bilan de Hollande dont Macron s’est affranchi avec la roublardise d’un premier de la classe qui n’assume pas. »

Embuscade

En effet, le dernier nuage, et non des moindres, qui assombrit le scrutin de janvier, c’est Emmanuel Macron, cette « bulle » qui devait exploser en quelques semaines et qui ne cesse au contraire de grossir jusqu’à boucher l’horizon du candidat qui sera désigné. Car « de quoi parlent les responsables socialistes depuis quelques jours […] De Macron, croit savoir Cécile Cornudet des Échos. […] La primaire socialiste n’est pas passée que s’échafaudent déjà des scénarios. Si elle désigne Arnaud Montebourg ou Benoît Hamon, une partie des responsables et des élus socialistes pourraient rejoindre Emmanuel Macron […] Si Manuel Valls l’emporte, pas d’hémorragie immédiate, mais une question. Que faire si Emmanuel Macron continue de creuser l’écart dans les sondages ? […] Au nom de l’unité, le Parti socialiste tente de pousser Macron à jeter l’éponge pour éviter tout risque Le Pen […] Mais […] s’il s’avère qu’en mars Emmanuel Macron est le seul capable d’être présent au second tour, alors cet appel s’inversera […] Les sondages ne sont pas prédictifs, mais ils continuent à jouer un rôle majeur dans la vie politique. Ils peuvent transformer un vote séditieux en vote utile. C’est dire. »

Le phénomène Macron s’installe, constate aussi Jean-Louis Hervois dans la Charente Libre. « Par touches subtiles et sans appuyer trop fort sur le trait, Emmanuel Macron s’applique à installer son portrait encadré au centre du paysage politique […] Tous ceux qui attendaient la chute imminente de l’amateur en sont pour leurs frais. La mécanique de communication tourne comme une horloge […] Si les candidats de gauche devaient être d’accord sur un point, c’est contre Macron qu’ils signeraient la pétition […] Macron obsède ou fascine jusqu’à l’extrême droite. Il pique des parts de marché à toute la classe […] Trois débats télévisés à la suite pourraient définitivement ruiner l’esprit de camaraderie […] Emmanuel Macron et son logiciel surprise se tiennent en embuscade. À l’approche des derniers cent jours de la présidentielle, l’heure de vérité ne va plus tarder. »