Frédéric Thiriez : « Gaston Defferre était un homme d’État »

Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation et président de la Ligue de football professionnel de 2002 à avril dernier, Frédéric Thiriez est appelé à 29 ans auprès de Gaston Defferre. D’abord conseiller technique, il sera pendant près de deux ans son directeur de cabinet. « J’ai adoré travailler avec lui. Il m’a tout appris », résume-t-il avec enthousiasme. Pour les 30 ans de la mort, le 7 mai 1986, il revient sur celui qui fut un emblématique maire de Marseille, ministre de l’Intérieur et personnalité politique éminente des IV et Ve Républiques.

Le Point.fr : Quand avez-vous travaillé avec Gaston Defferre ?

Frédéric Thiriez : J’ai travaillé à ses côtés de l’élection de François Mitterrand en 1981 à la défaite de la gauche aux législatives de 1986. D’abord au ministère de l’Intérieur, comme conseiller technique chargé de la police, puis comme directeur de cabinet du secrétaire d’État à la Sécurité publique Joseph Franceschi, où j’étais surtout chargé de la coordination de la lutte antiterroriste ; puis comme directeur de cabinet de Defferre lorsqu’il est devenu en 1984 ministre d’État chargé du Plan et de l’Aménagement du territoire.

Trente ans après sa mort, quel héritage politique a-t-il laissé ?

Gaston Defferre n’était pas l’homme d’une ville, comme on le croit souvent. C’était un homme d’État, au sens complet du terme, stratège, et pas seulement tacticien, visionnaire et courageux. La France lui doit, par exemple, la décolonisation de l’Afrique, la décentralisation, l’arrivée de François Mitterrand à la tête du PS, et donc la victoire de la gauche, mais aussi le Plan informatique pour tous de 1984, véritable révolution à l’époque, même si la réalisation n’a pas été à la hauteur des ambitions initiales.

Gaston Defferre a-t-il laissé ses héritiers politiques ?

Il existe une sorte de malédiction chez les grands hommes, leur difficulté à prévoir et à organiser leur propre succession. Sans doute parce qu’ils se pensent immortels… C’était son cas, et c’était aussi sa force.

Pourquoi souffre-t-il aujourd’hui d’une image si médiocre ?

La réalité de « l’homme Defferre » (c’est le titre d’un livre que je voulais lui consacrer, mais que je n’ai pas encore eu le temps d’écrire !) n’a rien à voir avec son image publique, celle que les « gens du Nord » ont de Marseille. Ayant vécu au quotidien avec lui pendant cinq ans, je peux en témoigner. Protestant cévenol, il était d’une rigueur et d’une intransigeance avec lui-même qui étonnait. Austère même : hygiène de vie sévère, travailleur infatigable, intégrité morale (il refusait par exemple tout cadeau de qui que ce soit et les faisait renvoyer par la poste !), mais aussi un profond respect, et même une affection sincère, pour ses collaborateurs. Il était très touchant dans ses relations avec Edmonde, dont il était très amoureux. Il lui téléphonait dix fois par jour !

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Edmonde Charles-Roux et Gaston Defferre.  © La Provence/Maxppp

À quel moment Defferre vous a-t-il bluffé ?

Son sang-froid et son courage lors des attaques terroristes de 1982-1983 (perpétrées par Action directe, NDLR), alors qu’il était personnellement menacé tous les jours, m’ont impressionné. Moi-même, j’étais armé en permanence et m’entraînais au tir tous les lundis matins ! Il m’expliquait n’avoir aucun mérite à être courageux, car c’était dans sa nature… Il l’avait d’ailleurs prouvé en maintes occasions, notamment dans la résistance. Ce sang-froid n’était pas partagé par tous au plus haut niveau de l’État. Il m’a bluffé aussi, dans un autre registre, lorsqu’il m’a emmené en Californie avec Jean-Jacques Servan-Schreiber rencontrer Steve Jobs qui voulait lui montrer les performances du tout nouveau Macintosh. Gaston Defferre voulait en équiper toutes les écoles de France !

Quelles relations entretenait-il avec François Mitterrand ?

Je crois, du moins c’était ce que l’on se disait à l’époque, que seuls deux hommes pouvaient se permettre de tout dire franchement à Mitterrand : Pierre Joxe et Gaston Defferre.

A-t-il eu la carrière politique qu’il méritait ?

I had a dream ! J’aurais bien imaginé un « ticket » composé de Gaston Defferre, Premier ministre, et de Michel Rocard, qui aurait été un grand président de la République. Mais c’était un rêve…