«Tu me fais faire un tour… dans ton vagin ?»; «Donc je suppose que tu ne cherches pas un plan cul…» ou encore «Pourquoi es-tu là ? Tu ne devrais pas fréquenter quelqu’un en fauteuil ?» Toutes ces phrases si délicates sont autant de messages reçus par Kristen Parisi via Tinder. A 30 ans, cette Américaine paraplégique depuis l’âge de 5 ans a récemment raconté au site internet Refinery 29 son expérience sur l’appli de rencontres.
«Je me suis inscrite pour les mêmes raisons que beaucoup de femmes : je ne voulais pas m’engager dans une relation sérieuse, j’étais curieuse de savoir quel genre de mecs fréquentaient le site, écrit-elle. Au minimum, je pensais que ce serait drôle. Rien ne pouvait me préparer au déluge d’hommes agressifs, ignorants et blessants que j’ai pu croiser.» L’un lui demande sans détour si elle ressent quelque chose pendant le sexe anal, parce que si tel n’est pas le cas, ce serait «génial» à ses yeux. Un autre, médecin, répond quand elle précise avant une rencontre qu’elle est en fauteuil : «C’est dégoûtant !» avant de la bloquer… Avec tous, Kristen passait systématiquement de la «rousse sexy» avec qui ils avaient rencard, à la «fille en fauteuil». Ce témoignage met en lumière la question de la rencontre amoureuse des personnes en situation de handicap.
Lire les témoignages«Dès qu’on prononce le mot handicap, il n’y a plus de réponse»
«Pas de place sur les sites généralistes»
Pour Pierre Brasseur, doctorant en sociologie à l’université de Lille et auteur d’une thèse sur le handicap et la sexualité, «le débat sur les assistants sexuels a complètement squatté l’espace médiatique sur ces questions, laissant supposer que tous les handicapés auraient besoin d’assistance. Or, ceux qui vivent à domicile ont souvent une sexualité assez complète». Et l’envie, comme tout le monde, de faire des rencontres. «On ne privilégie pas forcément les sites de rencontres, il se trouve que la liste des endroits où on peut se rencontrer (speed datings, discothèques…) est de facto limitée par des problèmes d’accessibilité», précise Kareen Darnaud, vice-présidente de l’Association des paralysés de France, qui insiste : «Ce qu’il faudrait, c’est laisser le choix aux personnes en situation de handicap, en améliorant l’accessibilité de ces lieux « dans la vraie vie ».»
Même constat pour François Crochon, sexologue clinicien, chef de mission CeRHeS (Centre Ressources Handicaps et Sexualités), pour qui «longtemps, la sexualité des personnes en situation de handicap a été taboue, ou s’est résumée à deux aspects : la génitalité et la visée procréative». Alors même s’il y a du mieux, pour ce spécialiste, des nombreux blocages demeurent : «Les personnes en situation de handicap ne peuvent par exemple pas accéder à des lieux de sexualité comme les saunas ou clubs libertins, si tel est leur choix», observe-t-il.
Au cours de ses travaux, le chercheur Pierre Brasseur a interrogé une cinquantaine de personnes en situation de handicap physique sur leur usage de la rencontre en ligne. Bilan ? «Ils avaient souvent l’impression qu’il n’y avait pas vraiment de place pour eux sur les sites généralistes», observe le sociologue. «D’abord parce qu’il arrivait que leur photo, si elle affichait le handicap, soit refusée par les modérateurs, mais aussi, souvent parce que leur situation, si elle était exposée, avait un impact négatif sur les contacts», assure Pierre Brasseur.
«Un frein à la rencontre»
Dès la fin des années 90, des sites spécialisés sont apparus, d’abord sous forme associative, comme Handiclub. C’était avant même le débarquement de l’un des géants du secteur, Meetic, en 2001. Une dizaine de sites ciblés existent aujourd’hui. Benjamin Cadranel, 32 ans, s’est lancé sur ce créneau avec son associé en 2010, en fondant Idylive, un site handis-valides, sur lequel environ 70% des inscrits sont en situation de handicap. «J’étais bénévole auprès de l’Association des paralysés de France, se souvient le jeune homme. Je me suis aperçu que l’accessibilité est un frein à la rencontre, qui vient s’ajouter au handicap. Une personne qui souffre d’un handicap moteur lourd est souvent cantonnée chez elle ou à une zone géographique restreinte, ce qui laisse assez peu d’opportunités», analyse-t-il.
Mais là encore, la solution proposée par le jeune homme n’est pas idéale: certains voient dans les sites spécialisés une certaine ghettoïsation des personnes en situation de handicap. Sur ces sites ou les autres, le même dilemme : quelle place accorder au handicap ? Faut-il le mentionner ? Comment ? A quel moment ? L’afficher sur ses photos de profil ? Libérationa recueilli les témoignages de plusieurs personnes qui ont fait l’expérience des sites de rencontre avec un handicap.
Lire les témoignages«On me questionnait plus sur mon handicap que sur ma personnalité»
Si ces témoignages vous parlent, que vous vous sentez concerné(e), que vous êtes en situation de handicap et inscrit sur un site de rencontres, contactez-nous à l’adresse temoignages(@)libe.fr ou réagissez sur Twitter avec le hashtag #handirencontre.
Virginie Ballet