C’est l’un des rituels auxquels se livrent les policiers lors des perquisitions administratives depuis l’instauration de l’état d’urgence : outre les fouilles minutieuses, ou brutales, les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur copient les données trouvées sur les tablettes, smartphones et ordinateurs (sauf quand ça ne fonctionne pas). Ils vont devoir arrêter. Saisi par la ligue des droits de l’homme, le Conseil constitutionnel a censuré la disposition de la loi qui l’autorisait.
Pourquoi cette censure ?
Le défenseur des droits avait averti en janvier : «Le recueil des données personnelles lors des saisies informatiques dématérialisées doit être entouré de garanties quant à l’usage desdites données.» Les «sages» partagent cette recommandation et vont plus loin. Pour le Conseil constitutionnel, l’équilibre entre la sauvegarde de l’ordre public et le respect de la vie privé est rompu lorsque la police aspire toutes les données d’un particulier, sans contrôle d’un juge.
Dans le commentaire de sa décision, le Conseil constitutionnel cite par exemple les «éléments « intimes » dépourvus de tout lien avec la menace que représenterait l’intéressé», qui sont néanmoins copiés. Trop de données, un lien trop lointain avec une éventuelle infraction et un encadrement insuffisant ont convaincu les membres du Conseil Constitutionnel de déclarer non conforme à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et donc à la loi fondamentale.
A quoi servaient les données saisies ?
C’est le grand flou et l’une des raisons qui a poussé la Ligue des droits de l’homme à déposer une question prioritaire de constitutionnalité sur ce point. L’avocat de l’ONG, Patrice Spinosi, expliquait ainsi que «la loi sur l’état d’urgence ne prévoit pas plus de quelconque encadrement des données copiées». Le ministère de l’Intérieur n’a jamais été très prolixe sur ce point.
A l’Assemblée, lors du débat en commission sur la prolongation de l’état d’urgence, Bernard Cazeneuve réfutait l’utilité très marginale de l’état d’urgence dans la lutte contre le terrorisme. Un constat qu’avait pourtant dressé Jean-Jacques Urvoas – devenu depuis garde des Sceaux – lorsqu’il présidait la commission de contrôle parlementaire.
Le 11 février, le ministre de l’Intérieur disait attendre beaucoup des données saisies : «On ne peut pas savoir aujourd’hui combien de personnes seront, in fine, mises en cause pour des infractions terroristes : une grande partie des éléments récupérés lors des perquisitions n’ont pas encore été exploités, notamment les données informatiques. C’est au terme des investigations que nous pourrons connaître le nombre de réseaux démantelés, le nombre de personnes concernées, et les résultats pour la lutte antiterroriste des perquisitions menées.»
Que vont-elles devenir ?
Les données copiées lors des perquisitions doivent être détruites, comme l’a indiqué sur Twitter le juriste Nicolas Hervieu. La Cnil, gendarme de la vie privée, n’a pas été consultée par le gouvernement sur la loi sur l’état d’urgence. Elle ne devrait donc pas superviser la suppression des données abusivement récoltées.
@combatsdh Mais cela signifie que toute conservation des données ainsi collectées doit cesser immédiatement. @LDH_Fr@Conseil_constit
— Nicolas Hervieu (@N_Hervieu) February 19, 2016
La censure du Conseil constitutionnel n’invalide pas automatiquement les procédures ouvertes après la saisie de données lors de perquisitions, mais ouvre la porte à des recours. Les 3 397 perquisitions administratives conduites depuis le 13 novembre ont entraîné l’ouverture de 23 enquêtes pour apologie du terrorisme et cinq pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste.
LIBERATION