«Rien ne bouge sur les contre-discours à la radicalisation»

N’est-ce qu’un «fail» anecdotique ou bien la révélation (confirmation ?) d’une stratégie de communication à côté de la plaque ? Le tweet douteux du compte gouvernemental «StopDjihadisme», publié dimanche soir, a immédiatement déclenché les ricanements des internautes. En cause, ce message de moins de 140 caractères, censé dissuader d’apprentis jihadistes de rejoindre l’Etat islamique : «Arrivée à Raqqa [fief militaire de Daech en Syrie, ndlr], aussitôt veuve, enceinte, elle cherche depuis à se faire sauter.»

Après les moqueries graveleuses, viennent les interrogations sur l’efficacité de ce «contre-discours» officiel à la propagande terroriste. L’arsenal gouvernemental pour dire «stop au jihadisme» (site Internet, comptes Twitter et Facebook) est en place depuis un an. Pour quelle efficacité ?

Un ex-détenu français de Guantanamo, Mourad Benchellali, le 13 mai 2015 à GennevilliersMourad Benchellali, un Français qui a passé deux ans à Guantánamo après un séjour en Afghanistan, tente aujourd’hui, en racontant son parcours, de dissuader des jeunes de rejoindre Daech. Pour lui, les initiatives du gouvernement sont bien trop institutionnelles pour être efficaces. (Photo Francois Guillot. AFP)

Au-delà du tweet de dimanche soir, que pensez-vous de l’initiative «Stop Djihadisme» et de ses effets ?

J’ai eu l’occasion de donner la parole à des jeunes de Vénissieux à ce sujet. Tout d’abord, ils ne connaissaient pas le site Internet, alors qu’ils sont bien, a priori, le public visé. Ensuite, je leur ai demandé s’ils avaient désormais envie de le visiter. Encore une fois, ils ont dit non. Ils étaient convaincus qu’ils y trouveraient davantage de la propagande que de l’information, selon leurs mots. Je leur ai aussi montré l’infographie censée aider à repérer les signes de radicalisation. Ils s’en sont moqués, ils la trouvaient caricaturale. Pour eux, les indicateurs sur l’apparence, l’habillement ou les fréquentations pour déduire si une personne est jihadiste ou non étaient des raccourcis. Cela risquait, à leurs yeux, de faire d’une personne pratiquante un terroriste potentiel.

Plusieurs vidéos ont été produites par ce portail. La plus regardée l’a été près d’un million de fois, mais les autres n’ont eu une audience que très modeste…

Les jeunes que j’ai interrogés n’ont pas pris ces vidéos au sérieux. Comment deux ou trois minutes peuvent-elles faire contrepoids aux centaines de vidéos que l’Etat islamique diffuse tous les mois ? C’est un peu faiblard. Quant au compte Twitter, je le suis depuis sa création. On a davantage affaire à de la communication gouvernementale, qui relaie divers communiqués, qu’à un contre-discours.

Avez-vous été sollicité par les autorités pour intervenir à leurs côtés ?

J’ai rencontré il y a quelques mois Christian Gravel, le patron du Service d’information du gouvernement. A l’époque, ils réfléchissaient à la création de vidéos, mais j’ai refusé d’y collaborer parce que le support en lui-même, le fait que ce soit un site gouvernemental, me posait problème. Je ne suis pas sûr que se mettre face à une caméra pour dire «le jihad, c’est pas bien» soit très efficace. Autre problème : sur ce site, il n’y a pas de jeunes, alors que c’est eux qu’on veut toucher.

Que préconisez-vous ?

La prévention de la radicalisation se fait sur le terrain. Pour que ça marche, il faut que les intervenants soient écoutés. Je comprends la méfiance, voire la réticence que peuvent avoir les autorités par rapport aux «repentis», car il subsiste toujours la crainte qu’ils se retournent la France. Mais en même temps, un discours de vérité passe par un vécu. Il faut savoir de quoi on parle. Or, qui mieux qu’un repenti du jihad peut dire ce qu’est la réalité de vivre sur une terre de jihad, ce que ça implique ?

Etes-vous en mesure aujourd’hui de partager votre expérience ?

J’ai encore beaucoup de difficultés à intervenir dans les écoles ou les prisons. Les rectorats freinent, l’administration pénitentiaire dit que c’est compliqué avec mon casier judiciaire. C’est bizarre, parce que c’est précisément ce qui donnera de la légitimité à mon discours. Les rapports [notamment celui d’une commission d’enquête sénatoriale ou du député Pietrasanta, ndlr] disent tous la nécessité de s’appuyer davantage sur la société civile. Mais dans la pratique, rien ne bouge. Il va falloir se décider. Je suis plus que jamais convaincu de la nécessité d’effectuer ce travail, pour faire contrepoids à la propagande de Daech. En 2001, si on était venu me voir, peut-être que je ne serais pas parti en Afghanistan.

Sylvain Mouillard