Manif de chauffeurs : «Laissez-nous bosser, on ne veut pas retourner au RSA»

Les organisateurs souhaitaient une marche «silencieuse». C’est raté. Ils la voulaient aussi «pacifique et non violente». Un mot d’ordre pas toujours respecté. Quelques centaines de chauffeurs spécialisés dans le transport collectif se sont rassemblés à 11 heures, ce mercredi, sur le boulevard du Montparnasse, avant de s’ébrouer vers les Invalides, à 12h30, dans un cortège de klaxons. Cet appel à la mobilisation a fait suite aux mesures annoncées par le Premier Minisitre, confronté à la colère des taxis la semaine passée. Des mesures destinées notamment à lutter contre l’utilisation détournée des licences de chauffeurs Loti (transports collectifs à la demande, appelés aussi «capacitaires») par les plateformes de réservation.

Le secrétaire d’Etat aux Transports a envoyé vendredi des mises en demeure à une vingtaine de ces plateformes (Uber, SnapCar, Chauffeur-Privé, etc.) pour leur rappeler que les licences Loti, plus rapides à obtenir que les cartes de chauffeur VTC, s’appliquent au transport collectif, c’est-à-dire pour deux passagers minimum, et non au transport particulier. Or, une très grande part – difficile à chiffrer – des chauffeurs présents sur les applications sont titulaires de licences Loti et chargent régulièrement des clients seuls. Les sociétés de réservation sont désormais poussées à faire respecter la loi et veiller à ce que ces chauffeurs transportent deux passagers minimum. Ce qui semble difficile à appliquer rapidement, d’où la crainte de cette profession de se voir écarter des plateformes d’ici la fin du mois. A partir du 28 février, les plateformes ont l’obligation de se mettre en conformité avec la loi. 

«On ne veut pas gratter l’Etat»

«Cela fait quatre ans que je travaille sur les plateformes avec cette licence et, depuis la semaine dernière, tout d’un coup, on nous dit qu’on est dans l’illégalité», s’emporte Redouane Kharej, chauffeur Loti, qui avoue ne pas pouvoir s’en sortir sans les applications. «On a fait confiance à un système, on s’est lancé sans se poser de questions. Si on avait su que c’était illégal, vous pensez vraiment qu’on se serait endetté pour monter notre affaire ?» Les manifestants réclament le droit de rester sur les applications et de pouvoir transporter un seul client. Ils demandent au gouvernement de modifier cette loi qui impose les deux passagers minimum, soit de leur accorder automatiquement et à tous la licence VTC. Hachani Bassem revendique le «droit de travailler». «On n’est pas des victimes, on ne veut pas gratter l’Etat. Mais on ne veut pas retourner au RSA, on ne veut pas revenir à la maison.» Derrière les pare-brise ou sur la plage arrière de leurs voitures, les manifestants affichent leur slogan : «Valls m’a tuer», «Manu fait Vallser mon emploi» ou encore «Déconne pas Manu, ça sert à rien la haine. Un taxi de perdu, c’est dix chauffeurs qui reviennent.» Le communiqué de presse du Premier ministre publié jeudi dernier leur reste en travers de la gorge. «Valls, il ne veut pas appliquer la loi, il veut juste calmer les taxis, poursuit Redouane Kharej. Mais on ne peut pas déshabiller les capacitaires pour rhabiller les taxis.»

Reste à savoir si leurs revendications seront entendues. La manifestation est organisée par l’association Alternative mobilité transport (AMT), qui regroupe une dizaine de sociétés Loti. «On a informé nos chauffeurs [de la mobilisation] et on leur a dit que ce serait très bien s’ils pouvaient y participer», a indiqué Yves Weisselberger, PDG de SnapCar. Mais de nombreuses organisations de VTC n’ont pas appelé à manifester. Soit parce que l’AMT, créée en janvier, les rend soupçonneux – c’est une «association fantôme», dénonce Helmi Mamlouk, président de l’Union des chauffeurs capacitaires et VTC. Soit parce que cette mobilisation est soutenue par l’ensemble des plateformes de réservation, alors qu’un mouvement de gronde grimpe au sein des VTC contre les conditions imposées par ces applications, Uber en tête. Dernière raison : plusieurs chauffeurs VTC ne sont pas contre un respect strict de la loi, ce qui leur permettrait de récupérer une bonne part des clients captés par les chauffeurs Loti. Au final, environ 550 voitures, selon la préfecture de police, étaient présentes dans le cortège. Alors qu’il y a, selon différentes sources, environ 70 000 chauffeurs Loti en France et environ 10 000 d’entre eux sur les plateformes à Paris et en région parisienne. L’un des chauffeurs présents est perplexe. «On n’est pas assez solidaires, on n’y arrivera pas.»

Pluie d’œufs

C’est peut-être la raison pour laquelle une poignée de manifestants s’enflamme après une demi-heure de mobilisation, trop calme à son goût. Alors que les organisateurs leur ont demandé de venir avec une bouteille d’eau, symbole du service rendu aux clients, des chauffeurs ont préféré amener des œufs qui, immanquablement, finissent sur les vitres des quelques taxis venus s’aventurer à Montparnasse. «C’est que comme ça qu’on nous entendra», hurle un chauffeur. Un jeune se met en travers de la route d’un taxi et lui lance un «nique ta mère». Les «fils de pute» volent au rythme des lancers d’œufs. La violence de quelques taxis lors des précédentes manifs fait grimper le son. «Ils m’ont niqué trois bagnoles, tu crois que je vais fermer ma gueule ? se justifie un chauffeur. C’est comme dans les cités, lâche un autre. Si tu les écrases pas, c’est eux qui t’écrasent !» La grande majorité des manifestants multiplient les appels au calme. «Pas de violence», «on n’est pas comme eux», «ne donnons pas une mauvaise image de nous», lancent-ils en boucle. «Faut les comprendre, explique Mohamed Aoun, chauffeur capacitaire. Ceux qui lancent des oeufs, ils se sont fait agresser à Orly, Roissy et dans les manifs. Les oeufs, ça fait pas de mal par rapport à ce qu’ils nous ont fait.»

Après leur arrivée aux Invalides, Matignon devait recevoir une délégation de chauffeurs. Mais sans attendre, plusieurs dizaines de manifestants se dirigent à pied vers l’Assemblée nationale en début d’après-midi. Gendarmes et policiers interviennent vite. Ils encerclent le groupe sur le pont séparant la place de la Concorde de l’Assemblée nationale. Mohamed Aoun est parmi eux : «On est venu faire un coup de poing, devant l’Assemblée, pour montrer que nous aussi, on pouvait faire comme les taxis. Mais sans violence.» Une cinquantaine d’entre eux sont embarqués dans les fourgons. Les autres sont relâchés. En début de soirée, les chauffeurs qui étaient restés place des Invalides attendent encore le retour de la délégation, sous la pluie. Ils se racontent leur quotidien, leur confrontation avec les taxis, se demandent quelle suite donner au mouvement. «Les taxis, ils se font entendre, nous on dort !»s’énerve l’un d’eux. Ils parlent de poursuivre la mobilisation jeudi matin à Roissy. Sans un geste du gouvernement, assurent certains, le mouvement pourrait vite se durcir. «S’il y a pas d’accord, demain on va revenir, promet Mohamed Aoun. Et après-demain on va revenir. Parce qu’à la fin du mois on va nous retirer notre boulot, alors on n’a plus rien à perdre.» 

Aoun Mohammed

Richard Poirot