A Sivens, nouveaux tirs de barrage

Sur le site de Sivens (Tarn), la sculpture à la mémoire de Rémi Fraisse, ce militant écologiste tué par l’explosion d’une grenade tirée par un gendarme le 26 octobre 2014, a disparu. Arrachée en pleine nuit, par des anonymes, quelques jours après la marche commémorative organisée le 25 octobre (lire Libération du 26 octobre). Volonté d’apaisement de la part des autorités ? La veille de Noël, l’Etat a discrètement abrogé le projet de barrage de Sivens dans un arrêté signé par les préfets du Tarn et du Tarn-et-Garonne. Cette décision devrait permettre l’ouverture de discussions «apaisées» entre défenseurs de l’environnement et agriculteurs, sur la base d’un nouveau projet de barrage réduit de moitié.

Quelles sont les conséquences de l’arrêté pris par les préfets ?

Condition sine qua non : la signature de l’arrêté du 24 décembre a été précédée par un accord transactionnel entre l’Etat et le conseil général du Tarn, ratifié par l’assemblée territoriale le 11 décembre. L’Etat s’engage à verser 3,4 millions d’euros à la collectivité dirigée par le socialiste Thierry Carcenac : 2,1 millions pour les dépenses en pure perte engagée sur le site et 1,3 million pour réhabiliter la zone humide. Le projet initial d’un barrage créant une retenue d’une capacité de 1,5 million de mètres cubes, d’une longueur de 1,5 kilomètre et de 230 mètres de large est définitivement abandonné. Selon l’accord conclu entre l’Etat et le département du Tarn, il devrait laisser place à l’étude d’un nouveau projet deux fois plus petit : une retenue d’eau de 750 000 m3, située à 300 mètres en amont du site initial et de l’endroit où est mort Rémi Fraisse.

Comment ce nouveau projet de barrage peut-il se mettre en place ?

Ce n’est pas gagné d’avance. Pour pouvoir réaliser une retenue de substitution et obtenir des financements, notamment européens, le département du Tarn doit élaborer un «projet de territoire» impliquant les agriculteurs concernés (83 selon la chambre d’agriculture du Tarn, une trentaine au total selon les opposants au barrage) et les associations environnementales. Un «médiateur» adoubé par la ministre de l’Ecologie, Ségolène Royal, doit être nommé dans le courant du premier trimestre 2016. Seul point d’accord pour le moment : ces discussions où pro et anti-barrage confronteront leurs arguments et expertises devraient durer au moins une année. «Quelle que soit l’alternative retenue, le nouveau chantier ne débutera pas avant 2018», indique à Libération Ben Lefetey, porte-parole du collectif Testet (anti-barrage).

Quelles sont les positions des pro et anti-barrage ?

Pour les associations environnementales regroupées dans le collectif Testet, le «nouveau projet de barrage light» est aussi «aberrant que le précédent». «Il détruira tout autant la zone humide du Testet et il ne tient pas compte des alternatives possibles», réagit Ben Lefetey. Les militants écologistes ont réalisé leurs propres études. «Nous avons un an devant nous pour convaincre de nos solutions d’un point de vue rationnel, poursuit le porte-parole du collectif d’opposants. Selon ces derniers, 2 millions de m3 d’eau non utilisée «dorment» dans les réserves existantes des agriculteurs locaux. La construction d’un réseau de canalisations adapté permettrait ainsi de «redistribuer cette eau en fonction des besoins réels de chacune des exploitations concernées». Et «si ce n’était pas suffisant», le collectif du Testet se dit «d’accord pour la construction d’un barrage de 300 000 m3 en aval de la forêt de Sivens», sur la commune de Bessières (Haute-Garonne).

Le chef de file EE-LV du prochain conseil régional Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon, Gérard Onesta, souhaite un «débat serein» et réclame une «vraie réflexion de fond», notamment sur le type d’agriculture pratiquée. L’accord de nouvelle gouvernance signé avec la future présidente de la région, la socialiste Carole Delga, «permettra d’étudier toutes les alternatives basées sur des expertises indépendantes», précise-t-il à Libération. Cela pourrait finalement amener à organiser une consultation par référendum des populations concernées. «Il faut de l’eau pour les agriculteurs de la vallée, et il est clair que cette retenue d’eau doit être construite sur le site de Sivens, rétorque Philippe Jougla, le président de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles, syndicat majoritaire à la chambre d’agriculture du Tarn. Nous sommes prêts à la discussion sur la taille de ce barrage en fonction des usages qui seront définis.» Les discussions entre pro et anti-barrage s’annoncent «compliquées», anticipe un élu du conseil général. L’enquête sur les causes de la mort de Rémi Fraisse ouverte au lendemain de son décès est toujours en cours.

Jean-Manuel Escarnot