«UK, UK !» Dans les rues de Calais, les réfugiés scandent leur rêve, les habitants les regardent passer à leur fenêtre, certains en famille, avec le chien à côté d’eux. Samedi après-midi, 2 000 personnes ont défilé, de la jungle, ce bidonville où vivent 5 000 migrants, Irakiens, Syriens, Afghans ou Soudanais, à la place d’Armes, en plein centre-ville. Militants du NPA, de Solidaires, comités de sans-papiers de Lille et de Paris, bénévoles anglais et calaisiens, qui interviennent au quotidien dans la jungle, associations d’aide aux migrants, citoyens engagés, anti-fa, le mélange est hétéroclite, et joyeux.
Philippe Poutou, porte-parole du NPA, est présent, pour dénoncer l’ambiance de «repli sur soi et de xénophobie», et demander l’ouverture des frontières. Karima Delli, député européenne EELV dénonce l’inaction gouvernementale, et balaie d’un revers de la main les 1500 places d’accueil récemment ouvertes dans des containers : «C’est insuffisant.» Devant la statue du général de Gaulle et de sa femme Yvonne, Calaisienne d’origine, deux jeunes réfugiés prennent la pose, pour un selfie. Se croient trente secondes en voyage touristique.
Aucun incident n’est à déplorer, malgré des provocations des militants de Sauvons Calais, groupuscule d’extrême-droite. Le service d’ordre, militants associatifs et réfugiés mélangés, est vigilant, pour éviter tout dérapage, qui nourrirait les rumeurs. Romain, 20 ans, militant UDI, assiste à la manif : «Je suis là pour témoigner que les migrants sont capables de revendiquer leur cause, sans violences et sans dégradations. On entend trop de rumeurs à Calais», explique-t-il. Le sentiment à leur égard est mitigé.
Dans la jungle, «il y a trop de problèmes»
Certains, comme Jean-Marc, 54 ans, boucher-charcutier, compatissent : «Ce sont des malheureux, je pense qu’ils n’ont pas de bol, et on ne sait pas vraiment quoi faire pour les aider.» D’autres les trouvent trop nombreux : «Il y a trop de chômage à Calais, on ne peut pas absorber autant de migrants», explique Daniel, 62 ans, cadre de l’Education nationale. «Il suffirait qu’on les dispatche entre plusieurs villes et qu’on ne garde qu’un petit quota ici.» Un homme, à qui on n’a rien demandé, dégorge sa haine raciste : «Il faut les renvoyer dans leur pays !»
300 personnes sont descendues de Paris en bus pour l’occasion : elles découvrent, un peu éberluées, la forteresse qu’est devenue le port. Rolande, 70 ans et belle prestance, bardée d’autocollants «Refugees Welcome» et «Stop Tafta», retraitée de l’Education nationale, fulmine : «On ne dit pas assez que ce sont les suites des guerres menées par monsieur Bush, et on n’en assume pas les conséquences, ces populations obligées de quitter leur pays.»
A deux pas d’elle, deux jeunes Afghans, Hassan, 22 ans, et Hadjiram, 18 ans, marchent, tranquilles. Ils voudraient que Cameron, le premier ministre anglais, ouvre les frontières, car, disent-ils, dans la jungle, «il y a trop de problèmes». Malgré le froid des derniers jours, avec des températures à 0°, ils dorment dans une tente, sans couverture. «La mienne était trop sale, je l’ai jetée», soupire Hassan. Mélanie, 32 ans, agent territorial, qui est là pour «se confronter au réel», apprécie de les voir à ses côtés : «Il ne faut pas qu’il n’y ait que nous, installés dans nos petits conforts.»
Stéphanie Maurice Calais, de notre correspondante