On les a aperçus sur les plateaux de divertissement face aux « people ». On les a écoutés raconter leur vie sur le canapé rouge de Michel Drucker. On les a vus sous une autre facette, plus intime, discuter avec Karine Le Marchand. Ce dimanche soir à 21 heures sur C8, les politiques vont encore plus loin : ils sont désormais interrogés par des enfants. Dans Au tableau !, quatre candidats à la présidentielle (François Fillon, Benoît Hamon, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon) affrontent des élèves de 8 à 12 ans. Pendant une petite demi-heure chacun, ils doivent répondre à des questions sur leur programme, relever des défis (expliquer en une minute une mesure de leur programme, parler anglais) et gérer les multiples interrogations de ces apprentis journalistes. « Je n’étais pas très satisfaite de la parole politique : elle était très répétitive, très langue de bois et pas forcément très compréhensible, signale Caroline Delage, la créatrice de l’émission qui l’a développée avec Mélissa Theuriau. Face aux enfants, un homme politique est obligé d’adapter son discours. Selon moi, c’était plus efficace que le plus incorrect des journalistes politiques. » Accompagnés par Caroline Delage, les enfants ont étudié les programmes.
Si l’on était habitué depuis quelques semaines à voir des jeunes en âge de voter s’exprimer (comme dans Punchline, toujours sur C8), une nouvelle étape a été franchie avec cette émission qui se veut « politique » et « grand public ». Ruben, Léopold, Chloé, Maya et une dizaine d’autres, qui sont loin d’avoir atteint l’âge du droit de vote, interpellent directement les candidats. Voire les mettent en difficulté. « Expliquer à un enfant, c’est tout un art. Il faut vulgariser et être pédagogue. Et pour faire cela, il faut avoir digéré sa pensée », explique le Dr Stéphane Clerget, psychiatre et praticien dans le service de psychiatrie enfantine à l’hôpital de Cergy-Pontoise, qui pense que ce genre d’exercice se révèle plus risqué pour les politiques que pour les enfants, exposés en prime time sur un sujet aussi épineux que la politique. « Les enfants ont un intérêt réel pour la chose publique. C’est du spectacle. Ça les intéresse qui commande », poursuit-il.
Exercice pédagogique
Pour les candidats, il y a bien sûr un intérêt d’image. Mais pas que. « On reproche aux hommes politiques de ne pas projeter la France dans le futur, de rester uniquement sur des questions de programme. En s’adressant aux enfants, donc à la nouvelle génération, ils développent non pas leur projet, mais leur vision, décrypte Stéphane Rozès, président de la société CAP (Conseil analyse et perspective) et spécialiste de l’opinion. Cette émission leur permet aussi de se livrer à un exercice de simplification et de « détechniciser » la politique. » Ainsi, les candidats ont dû expliquer en une minute des points de leur programme. Benoît Hamon a, grâce à un schéma, défini le revenu universel. Une technique qu’il a reproduite dans un déplacement face à des adultes. Même chose pour François Fillon avec les quotas migratoires. « Ce type de programme va d’abord s’adresser aux adultes et les enfants ne sont finalement qu’un intermédiaire », ajoute Stéphane Clerget, auteur de Comment te faire respecter (éd. Limonade).
Imagine-t-on le général de Gaulle…
Si Au tableau ! est très didactique et agréable à suivre (malgré l’a priori que l’on pouvait avoir), le programme bascule quelquefois dans l’anecdotique. C’est ainsi que François Fillon doit manger un criquet, car il a fait du scoutisme… Le tout sous le rire des enfants et la gêne du téléspectateur. Ne touche-t-on pas à la limite de l’exercice ? L’image des politiques, déjà bien écornée, en sort-elle grandie ? Et puis, dans une formule éculée ces dernières semaines, imagine-t-on le général de Gaulle ou François Mitterrand participer à ce genre de programme ?
« Je ne pense pas que cela participe à l’abaissement de la fonction présidentielle. Cela a amusé les enfants et puis c’est une épreuve. Dans le reste de l’émission, ils ont pu exposer leurs idées », se défend Caroline Delage. « Il ne faut pas exagérer l’effet de ce genre d’émission, renchérit Stéphane Rozès. Et puis, nous sommes en 2017, plus dans les années 1960. Le général de Gaulle et François Mitterrand se seraient peut-être prêtés à cet exercice. » Un exercice qu’a refusé Marine Le Pen malgré les sollicitations appuyées de la production. « Et pourquoi participerait-elle à cette émission ? », répondent des cadres du Front national.
Après quelques minutes passées dans une école, il est temps de faire le bilan. Après le conseil des ministres, le conseil des classes. Qui s’en sort le mieux ? Jean-Luc Mélenchon, en hussard très IIIe République, et Emmanuel Macron, le professeur moderne (sans cravate) qui se met au niveau des enfants, apparaissent les plus à l’aise. Benoît Hamon et François Fillon ont réussi leur passage, bien que plus guindés. L’émission, elle, devrait fonctionner. Si elle est un succès, elle pourrait revenir. Les candidats se sont même, paraît-il, engagés à revenir s’ils sont élus président. Un chef de l’État interrogé à la télévision par des enfants, là, oui, ce serait une première !