Ce lundi, le ministre des Finances a appelé les députés à « travailler dans un esprit de rassemblement », lors de l’ouverture des débats sur son projet de loi (dit « Sapin II »), dont le but est de limiter les pouvoirs de la sphère financière. Examiné à l’Assemblée nationale jusqu’à la fin de la semaine, ce texte sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique « va contribuer à faire de notre pays une démocratie moderne et solide sur ses valeurs, et non une démocratie du soupçon », a expliqué Michel Sapin, présent pour le gouvernement aux côtés de Jean-Jacques Urvoas et Emmanuel Macron.
Ce vaste projet de loi de 57 articles va « contribuer à construire pour notre pays une économie au service de tous, et à combattre une finance débridée au service de la corruption et de la spéculation », a assuré le ministre des Finances Michel Sapin, un proche de François Hollande, dont l' »adversaire » désigné lors du discours de campagne du Bourget en 2012 était « le monde de la finance ». Vingt-trois ans après sa première loi sur ce thème, son nouveau texte doit permettre à la France de rattraper son retard dans la lutte anticorruption, pointé par l’OCDE. Il s’agit de pouvoir poursuivre et condamner en France un dirigeant pour des faits de corruption à l’étranger car « la France ne peut pas rester à la remorque des justices étrangères, en particulier de la justice américaine », a fait valoir le ministre.
Renforcer la protection des lanceurs d’alerte
Le gouvernement s’en remettra à l’avis des députés sur le dispositif remplaçant la transaction pénale, qui devait permettre aux entreprises mises en cause dans des affaires de corruption de payer une amende pour s’éviter un procès. La nouvelle « convention judiciaire d’intérêt public » met « juge et victimes au centre », selon son initiatrice Sandrine Mazetier, chef de file des députés socialistes sur ce projet de loi.
Le texte crée aussi un cadre de protection renforcé pour les lanceurs d’alerte, dont le rôle a été mis en évidence dans l’affaire des Panama Papers ou celle des Luxleaks. Il encadre également davantage l’activité des lobbyistes qui devront déclarer leurs activités dans un répertoire numérique pour rencontrer ministres, membres de cabinet, parlementaires ou hauts fonctionnaires.
Le projet de loi devrait permettre au gouvernement et aux députés « des gauches » de se retrouver sur des sujets fédérateurs. Michel Sapin ainsi que le ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas ont ainsi appelé au « rassemblement » voire à « transcender (les) clivages ». Radicaux de gauche et Front de gauche soutiennent le projet, mais les députés LR, bien qu’en « partageant » les objectifs, ne le trouvent pas « à la hauteur des enjeux » et jugent qu’il « pâtit du contexte politique dans lequel la majorité et le gouvernement se trouvent aujourd’hui » avec la loi Travail. Les élus UDI sont mitigés sur des dispositions allant « plutôt dans le bon sens » mais sans « vision politique ».
Contraintes sur les rémunérations des patrons
Quelques bras de fer sont à prévoir au sein même de la gauche, notamment sur la rémunération des dirigeants d’entreprises qui s’est rajoutée au menu. Finalement décidé à légiférer après les nouvelles polémiques concernant Carlos Ghosn (Renault) et Carlos Tavares (PSA), l’exécutif a opté pour rendre contraignants, via un amendement PS, les avis des assemblées générales d’actionnaires. Mais le gouvernement « n’est pas favorable » à des amendements de Karine Berger (PS) ou du Front de gauche, proposant d’encadrer le montant de ces rémunérations, ce qui « serait censuré par le Conseil constitutionnel », selon Michel Sapin, ou encore d’alourdir la fiscalité des actions gratuites.
Autre débat en vue: sur la transparence accrue pour lutter contre l’évasion fiscale. Les rapporteurs socialistes, Sébastien Denaja, Romain Colas et Dominique Potier vont proposer de rendre public le « reporting » financier des activités des multinationales dans tous les pays comme le demandent des ONG. Mais Michel Sapin se montre prudent, souhaitant que cette obligation s’impose dans le cadre d’une directive européenne qui vient d’être proposée.
Plaidoyer de Macron
Enfin, un volet risque de ne pas sortir indemne de l’hémicycle en fin de semaine, celui sur l’assouplissement des règles d’entrée dans certains métiers, combattu par les artisans. Le ministre de l’Économie Emmanuel Macron, qui dans la matinée avait essuyé des jets d’oeufs de la part d’opposants à la loi Travail à Montreuil, s’est livré en fin d’après-midi au Palais Bourbon à un plaidoyer en faveur de cette réforme des qualifications qui doit « permettre au plus grand nombre de saisir ces nouvelles opportunités économiques ». Mais l’article litigieux fait l’objet d’amendements de suppression, et de droite et de gauche, en particulier de l’ex-ministre de l’Artisanat Sylvia Pinel (PRG).