Mois : janvier 2017

François Fillon recadre ses frondeurs

Deux mois après la primaire, François Fillon aurait-il – comme la majorité socialiste durant le quinquennat – déjà droit à ses frondeurs ? Ce samedi 14 janvier à la Mutualité à Paris, où se tenait le conseil national des Républicains, les fillonistes ne digéraient toujours pas les sorties des sarkozystes du milieu de semaine. À tel point que la réunion de famille a viré au recadrage des turbulents, le vice-président du parti et fidèle sarkozyste Laurent Wauquiez en tête.

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Mercedi dernier fut, à en croire ce filloniste notoire, « une journée noire pour l’unité de la droite et la campagne présidentielle de François Fillon ». C’est Laurent Wauquiez qui a ouvert le bal. « Un projet présidentiel en 2017, ça ne peut pas être que du sang et des larmes », lâchait-il sèchement au micro de RTL. Le soir même, lors d’un meeting à Nice, Christian Estrosi a embrayé : « On ne gagnera pas sans s’adresser aux millions de Français délaissés. […] Le mot social n’est pas une grossièreté. » À trois jours de la grand-messe d’investiture du Sarthois devant les siens à la Mutualité, l’unité bringuebalait.

« Je ne vois pas de courage dans la dissidence »

Dans le camp Fillon, il a fallu préparer la riposte, sans écorner le rassemblement. Elle aura lieu ce samedi, lors du conseil national. « Wauquiez et consorts vont passer une sale matinée. Nous travaillons à une France unifiée et eux nous attaquent au même moment. Dès lundi, ceux qui ne seront pas avec nous seront contre nous », promet un cacique filloniste dans les couloirs de la Mutualité. Au pupitre, chaque orateur a appelé à l’ordre et à la discipline. À commencer par Bernard Accoyer, le secrétaire général des Républicains : « Quand on a une suggestion à faire à notre candidat, c’est à lui que nous la faisons. Pas devant un micro. » À ce tacle visant Laurent Wauquiez, Jean-Pierre Raffarin en a remis une couche : « Je ne vois pas de courage dans la dissidence. Elle cache la solitude derrière l’ambition. »

C’est logiquement à François Fillon qu’est revenue la primauté de la charge la plus violente. « Celle qui devra mettre tout le monde d’accord », renchérit un de ses proches. Dès le début de son discours de clôture, le candidat, ovationné du début à la fin, a mis dans le même panier ceux qui le critiquent dans son propre camp et les attaques de la gauche. « Certains à droite utilisent les mêmes mots que la gauche […]. J’attends de mon parti de la responsabilité et de la discipline », a admonesté le prétendant à l’Élysée.

Sur la photo de famille en fin de discours, les sourires de certains étaient crispés. Après le conseil national s’ensuivait un déjeuner entre cadres LR, secrétaires départementaux et patron de fédérations autour de François Fillon. L’Ultima Cena des Républicains ?

Primaire de la gauche : pourquoi le débat fut-il soporifique ?

Morne débat. La première joute de la primaire de la gauche entre les sept candidats a laissé les commentateurs sur leur faim. « Vivement dimanche », plaisante Yann Marec du Midi libre, qui a trouvé au premier débat des airs de « grande réunion de famille. Tous d’accord sur le fond au moment du plat de résistance et quelques chamailleries le temps du dessert. L’unanimité sur la politique de François Hollande en matière de sécurité aura été un exemple de solidarité. » Il est tout de même parvenu à trouver une vertu à la soirée : « En réalité, les débats d’hier auront servi à montrer où battait le plus fort le cœur de la gauche sous les spots du plateau. À ce jeu, nul doute que Benoît Hamon aura marqué le plus de points pour le peuple orphelin des promesses non tenues de François Hollande. Vincent Peillon a montré une vision intelligente de la France de demain pendant que Manuel Valls tentait de défendre un bilan mitigé. » Mais, selon lui, « il en faudra bien plus pour fixer l’opinion. Les prochains débats serviront à marquer davantage les lignes de fractures. »

« Les débats semblaient aseptisés, chacun essayant de rester dans son couloir et évitant absolument la polémique et les interpellations », constate Jean-Marcel Bouguereau (La République des Pyrénées). La faute aux règles aberrantes de ce débat : 1 minute trente pour répondre, 45 secondes pour se répondre ! Résultat, « un débat haché, les problèmes étant saucissonnés, les candidats n’ayant guère le temps de développer ou se perdant dans des détails gestionnaires. Où étaient le souffle, la vision, les projets ? Heureusement restent encore deux débats », conclut-il, dans un bel élan d’optimisme.

Des désaccords de fond

« Ce fut un débat d’économistes, grave, sobre, plus ou moins sérieux selon les candidats et sans grandes aspérités », pense également Hubert Coudurier du Télégramme. Un paradoxe, car il y a bien une sacrée « différence entre les partisans de raser gratis et ceux qui veulent maintenir les grands équilibres. Entre Hamon et Bennahmias, favorables à un revenu universel au montant astronomique, 400 ­milliards d’euros (soit les deux tiers des transferts sociaux). Sans compter les effets pervers sur la notion de travail. Ou Valls, Montebourg et Peillon, conscients que l’actuel président n’a pas seulement payé la hausse du chômage mais aussi celle des impôts. »

Dans L’Alsace, Laurent Bodin aussi a su discerner entre les candidats, des désaccords de fond : « Dès la première question, portant sur le bilan du quinquennat de François Hollande, les divergences ont éclaté au grand jour. Montebourg, de Rugy, Hamon et Peillon ont été critiques tandis que Bennahmias et Pinel trouvaient des points positifs et Valls exprimait sa fierté. La suite fut du même tonneau : Bennahmias et Hamon défendent un revenu universel que les autres jugent au mieux inadapté, au pire dangereux ; Montebourg veut abroger la loi travail, qui est l’un des marqueurs de l’action de Valls à Matignon… Plus encore que lors de la primaire de la droite, pratiquement tous les sujets ont donné l’occasion aux candidats de se démarquer les uns des autres. C’est bel et bien un choix de personnes mais aussi d’idéologies auquel sont conviés les sympathisants de gauche dans dix jours. »

Même analyse de la part de Bernard Stéphan, dans La Montagne. Selon lui, « tout cela ronronnait jusqu’au moment où la loi travail est venue comme le grand contentieux du quinquennat. Benoît Hamon et Arnaud Montebourg ont sonné la charge en dressant implicitement le procès de Manuel Valls sur ce dossier. Là, on venait sur le bilan et sur le vrai clivage qui traverse le PS. On était au cœur du débat, celui qui va peser sur le choix des électeurs de gauche. »

Le revenu de base : un vrai débat caricaturé ?

Un « cœur du débat » que résume Hervé Chabaud dans L’Union : « Dans leur approche d’une société qu’ils estiment tous en mutation accélérée en raison de la rupture économique, leur approche n’est pas la même. Lorsque Benoît Hamon veut maîtriser la transition pour éviter la régression et plaide en faveur du revenu universel d’existence, il n’est pas contredit par Jean-Luc Bennhamias, mais ni Vincent Peillon, ni Manuel Valls ou François de Rugy ne sont en phase sur la façon d’adapter la solidarité dans cette société bousculée et malade du chômage. »

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Mais sur ce sujet, Laurent Joffrin remet les pendules à l’heure. Car si les candidats qui s’affrontaient jeudi ont eu le mérite de discuter du sujet, les termes du débat étaient mal posés, selon lui. « Inénarrable gauche française… La voilà lancée dans un débat acerbe sur le « revenu de base », agitant symboles et arguments à l’emporte-pièce, sans tenir compte des discussions qui ont eu lieu depuis au moins trente ans dans plusieurs pays. Le « revenu de base » a d’abord un fondement philosophique et moral : dans les sociétés riches, il est insupportable qu’une partie des citoyens, quelle qu’en soit la raison, vive avec un revenu de misère. L’utopie concrète est bien celle-là : comme membre de la communauté humaine, comme usufruitier de la planète, tout citoyen a le droit de vivre avec des moyens décents. Limités, modestes, mais décents. Telle est la perspective ouverte par le revenu de base, seulement esquissée avec des institutions comme le RSA ou le smic.

Certains lui opposent le grand péché idéologique : certains libéraux parlent eux aussi du revenu de base. Vade retro ! On oublie de préciser que le projet libéral, proposé à l’origine par Milton Friedman, table sur une privatisation générale du social, et n’a donc pour l’essentiel rien à voir avec les propositions discutées à gauche. D’autres parlent de résignation au chômage, ou bien des surfeurs de Biarritz qu’on subventionnerait à ne rien faire ; d’autres encore de ces femmes qu’on voudrait renvoyer à la maison. » Un débat caricatural, en un mot.

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Querelle d’ego sur fond d’échec annoncé

Selon Le Monde – dans un éditorial écrit avant le débat –, cette primaire reste essentiellement une question de personnes. Une lutte entre des candidats « affaiblis et divisés. Affaiblis parce que les principaux protagonistes – Manuel Valls, Arnaud Montebourg, Benoît Hamon et Vincent Peillon – ont été associés à l’exercice du pouvoir depuis cinq ans et sont tous comptables du bilan de François Hollande. Ils s’en défendront avec plus ou moins de bonne foi, mais ils portent comme une croix ces cinq années de désillusion, de déception et de discrédit. Ils sont, en outre, divisés par des rivalités personnelles sans fond et sans fin qui donnent à leur compétition les allures d’un combat de coqs et laissent mal augurer de leur rassemblement final derrière le vainqueur de la primaire. »

Quant à Christophe Bonnefoy, il juge dans Le Journal de la Haute-Marne que l’exercice de la primaire est quasi impossible en raison de la déliquescence du PS. « C’est en effet sur la base d’échecs successifs, dont certains des sept candidats ont été acteurs, qu’ont été développés les arguments. Pas simple. D’autant moins facile que deux hommes ont, eux, déjà compris à quel point le PS était malade et savent en profiter. Jean-Luc Mélenchon a le vent en poupe. Tout comme Emmanuel Macron, qui de plus en plus, pense qu’il peut créer la surprise en avril. Autant dire que les deux prochains débats devront être d’une tout autre teneur. En tout cas si le vainqueur de la primaire veut envisager devenir celui de la présidentielle. »

Pourquoi Manuel Valls a annulé son déplacement à Rennes

« Mais quel cirque ! Quel cirque ! » Ce cacique socialiste d’Ille-et-Vilaine n’en croit toujours pas ses yeux. Quelques jours après un article du Point évoquant les craintes de troubles à l’ordre public en marge du meeting de Manuel Valls prévu à Rennes lundi 16 janvier, voilà que l’intéressé annule son déplacement. Motif officiellement invoqué : le ministre de la Défense et président de la région Jean-Yves Le Drian – soutien de poids du candidat – ne peut être présent, pris « par des obligations ministérielles ». Officieusement, le camp Valls cherchait une porte de sortie, avec l’aide du Breton.

Le meeting de #Valls à #Rennes est annulé. Motif : J.Y #LeDrian ne pourra être présent… (comité de soutien) #PrimaireGauchepic.twitter.com/PUzyBtG3eb

— Olivier Pérou (@OlivierPerou) 10 janvier 2017

Une « farine party »

Pour Manuel Valls, les mauvaises nouvelles s’enchaînent. La séquence a commencé à Liévin dans le Pas-de-Calais le 8 janvier, où il a tenu un meeting dans une salle à moitié vide. Deux jours plus tard, 300 personnes seulement viennent écouter le prétendant à l’investiture socialiste à Clermont-Ferrand, là où Emmanuel Macron rassemblait 2 500 personnes soixante-douze heures plus tôt. La réunion publique qui devait se tenir à Rennes, elle, n’augurait rien de bon. Bastion de la gauche depuis quarante ans, la ville est d’autant plus symbolique qu’elle est un piège pour Manuel Valls particulièrement. Haut lieu des contestations contre la loi travail il y a huit mois, syndicalistes locaux et étudiants lui préparaient un accueil mouvementé. Force ouvrière (FO) lançait un appel à manifester et des milliers de personnes promettaient sur Facebook de venir organiser une « farine party », en référence à l’enfarinage de Manuel Valls à Strasbourg le 22 décembre. « Il ne pouvait se permettre de tenir un meeting avec si peu de monde dans la salle et, à l’extérieur, 1 000 personnes qui hurlent contre lui. S’il n’annulait pas, il aurait fallu encadrer le centre-ville rennais avec des dizaines et des dizaines de CRS. Triste image pour un candidat de la gauche dans une ville de gauche », observe un socialiste rennais partisan de Manuel Valls.

Porte de sortie

Selon nos informations, les mobilisations anti-Valls à Rennes inquiétaient l’équipe du candidat, qui cherchait « une porte de sortie ». Et c’est Jean-Yves Le Drian qui va lui trouver. Pris par des « obligations ministérielles », le locataire de l’hôtel de Brienne ne pourra faire le déplacement à Rennes. « Il aurait été en retard au meeting, ce qui aurait été mal interprété », glisse l’entourage du ministre qui en a informé Manuel Valls au téléphone il y a quelques jours. Le ministre de la Défense participera en effet ce jour-là à Paris à une rencontre entre les chefs d’état-major de la coalition internationale contre Daech. Un rendez-vous de dernière minute qui arrange également les affaires de Jean-Yves Le Drian, lui qui hésitait à prendre la parole au meeting. Ses proches le poussaient à « lever le pied » sur son soutien au candidat « vu la tournure que prend sa campagne pour la primaire ». « Nous n’avons pas très envie de prendre des risques », fait savoir au Point un proche de Le Drian. D’autant qu’il se prépare à reprendre à plein temps les commandes de la région dans quelques mois.

L’ultime explication se trouverait du côté de l’Élysée. Selon le journaliste du Télégramme Hubert Coudurier, François Hollande ne digère toujours pas la défection de son fidèle compagnon Jean-Yves Le Drian. En décembre, le pensionnaire de la Défense évoquait sur Europe 1 une candidature – alors hypothétique – de Manuel Valls pour 2017. Le ministre et François Hollande auraient alors eu une explication houleuse. Depuis, Manuel Valls et François Hollande – qui ne se parlent plu– tenteraient de s’arracher Jean-Yves Le Drian. Et si l’annulation du meeting par Manuel Valls avait pour objectif de ne pas trop froisser Jean-Yves Le Drian ?

Primaire de la gauche : et si la fusée se transformait en galère ?

Nous n’en sommes encore qu’aux hypothèses, mais elles s’annoncent moroses pour Manuel Valls et Solférino. Que se passera-t-il si le candidat désigné par le scrutin de janvier ne parvient pas à distancer Emmanuel Macron dans les sondages ? Qui serait responsable d’un probable 21 avril ? Et quid d’une faible participation à la primaire du 22 janvier ? De quelle dynamique disposera le candidat désigné par de maigres troupes de sympathisants ? Et au terme d’une campagne éclair d’à peine quelques semaines ? Les éditorialistes reviennent sur ce scrutin conçu pour asseoir la légitimité d’un candidat et qui pourrait tourner au fiasco pour les socialistes.

Premier problème souligné par Olivier Pirot dans La Nouvelle République du Centre-Ouest : les délais, extrêmement courts. « Dans quel état de forme vont arriver les candidats de la primaire de la gauche ce jeudi pour ce premier débat ? Quatre débats en quinze jours, deux tours d’élections que les protagonistes aborderont en ayant déjà aligné les meetings, les réunions publiques, les plateaux télés et les émissions de radio. Le tout dans un temps très restreint […] Avant le premier tour de la primaire de la droite, il s’était écoulé quasiment un mois entre le 1er et le 3e débat. De quoi prendre le temps de digérer et d’observer la montée en puissance de François Fillon. Cette fois-ci […], on peut se demander ce qu’au final les électeurs retiendront du processus de cette Belle Alliance populaire calibrée au départ pour que François Hollande y participe. En tout état de cause, le vainqueur devra sûrement faire preuve de beaucoup de pédagogie et de clarté pour s’extirper de ce maelstrom annoncé. »

« Deux rock stars »

Deuxième obstacle, la participation, qui pourrait ne pas être à la hauteur, s’inquiète Florence Chédotal dans La Montagne: « La primaire pourrait jouer un bien mauvais tour au camp socialiste […] Une primaire devant servir à compter ses troupes et s’imposer au sein d’une force politique, ce serait un naufrage assuré pour Solférino si les électeurs boudaient les bureaux de vote. Car la politique est une affaire de dynamique […] Pour l’heure, à regarder le taux de remplissage des salles de meeting et le nombre de spectateurs refoulés faute de place, il semblerait qu’elle soit du côté de l’insoumis Mélenchon et du libéral Macron […] Ces deux visages d’une gauche irréconciliable, mais dont la dynamique électorale est potentiellement destructrice pour le PS, si elle devait durer. Deux rock stars qui parasitent avec une délectation assumée cette primaire, alors que les grands débats vont débuter […] »

Troisième enjeu, l’incertitude totale dans laquelle sont les observateurs quant à l’issue de la bataille. Dans Midi Libre, Yann Marec agite le spectre de « la malédiction des favoris » à l’avant-veille du premier débat qui va opposer les candidats. « Attention danger. Pour les sept candidats à la primaire, la semaine qui s’avance ressemble au décollage d’une fusée […] Tout va dépendre de l’air du moment. Pour le favori Manuel Valls parti à la conquête de toutes les étoiles du parti, chaque mot compte. Entre des propositions séduisantes et un semblant de reniement, l’exercice est complexe. À tel point que le Premier ministre, qui pourtant avait juré qu’il ferait jouer son droit de réserve, est venu lui taper la claque. Alors quid des outsiders ? Arnaud Montebourg et Benoît Hamon possèdent un coup d’avance avec une stratégie parfaitement lisible : retrouver le cœur de la gauche. Ça plaît. C’est efficace. Et du coup, cette primaire paraît incertaine. En tout cas, les cartes sont tellement rebattues que le favori pourrait tomber. Comme si la malédiction des favoris de 2016 allait frapper. »

Cette menace qui plane sur la primaire socialiste a poussé le Premier ministre, « qui ne devait pas s’impliquer dans la primaire [à monter] en première ligne, au secours de son prédécesseur à Matignon », souligne Hervé Chabaud dans L’Union/L’Ardennais. « […] À Évry-Courcouronnes, on a usé de superlatifs capables de transformer l’ancien chef du gouvernement en étoile de la Belle Alliance populaire dont l’éclat resplendira demain dans les urnes […] Si le Premier ministre ne s’imaginait pas en porte-parole de son aîné, il l’est devenu par devoir et surtout par son appétence douce pour passer à la moulinette l’ambitieux Macron […] Cette prise de position avant la succession de débats […] répond au calendrier de soutien d’urgence alors qu’ils sont nombreux à vouloir faire payer à Valls le bilan de Hollande dont Macron s’est affranchi avec la roublardise d’un premier de la classe qui n’assume pas. »

Embuscade

En effet, le dernier nuage, et non des moindres, qui assombrit le scrutin de janvier, c’est Emmanuel Macron, cette « bulle » qui devait exploser en quelques semaines et qui ne cesse au contraire de grossir jusqu’à boucher l’horizon du candidat qui sera désigné. Car « de quoi parlent les responsables socialistes depuis quelques jours […] De Macron, croit savoir Cécile Cornudet des Échos. […] La primaire socialiste n’est pas passée que s’échafaudent déjà des scénarios. Si elle désigne Arnaud Montebourg ou Benoît Hamon, une partie des responsables et des élus socialistes pourraient rejoindre Emmanuel Macron […] Si Manuel Valls l’emporte, pas d’hémorragie immédiate, mais une question. Que faire si Emmanuel Macron continue de creuser l’écart dans les sondages ? […] Au nom de l’unité, le Parti socialiste tente de pousser Macron à jeter l’éponge pour éviter tout risque Le Pen […] Mais […] s’il s’avère qu’en mars Emmanuel Macron est le seul capable d’être présent au second tour, alors cet appel s’inversera […] Les sondages ne sont pas prédictifs, mais ils continuent à jouer un rôle majeur dans la vie politique. Ils peuvent transformer un vote séditieux en vote utile. C’est dire. »

Le phénomène Macron s’installe, constate aussi Jean-Louis Hervois dans la Charente Libre. « Par touches subtiles et sans appuyer trop fort sur le trait, Emmanuel Macron s’applique à installer son portrait encadré au centre du paysage politique […] Tous ceux qui attendaient la chute imminente de l’amateur en sont pour leurs frais. La mécanique de communication tourne comme une horloge […] Si les candidats de gauche devaient être d’accord sur un point, c’est contre Macron qu’ils signeraient la pétition […] Macron obsède ou fascine jusqu’à l’extrême droite. Il pique des parts de marché à toute la classe […] Trois débats télévisés à la suite pourraient définitivement ruiner l’esprit de camaraderie […] Emmanuel Macron et son logiciel surprise se tiennent en embuscade. À l’approche des derniers cent jours de la présidentielle, l’heure de vérité ne va plus tarder. »

Syrie : 3 deputés français retardés à l'aéroport d'Alep par des obus

Trois députés français qui s’étaient rendus vendredi à Alep, récemment reconquise par le régime syrien, ont dû attendre samedi plusieurs heures à l’aéroport avant de repartir en raison de la chute d’obus, a indiqué une source parlementaire.

Selon cette source, les députés de droite Thierry Mariani, Nicolas Dhuicq et Jean Lassalle s’apprêtaient à rentrer samedi après-midi en avion à Damas après avoir passé le Noël arménien à Alep, « en solidarité avec les chrétiens d’Orient », lorsque huit obus sont tombés dans le périmètre de l’aéroport de la grande ville du nord de la Syrie, obligeant l’appareil à faire demi-tour. Quatre heures plus tard, l’appareil est reparti et ils ont pu regagner Damas.

Un décollage « un peu particulier »

« Nous avons eu un décollage un peu particulier toutes lumières éteintes. Ces obus étaient dirigés contre nous car depuis des semaines l’aéroport n’était plus la cible de roquettes et les équipes de maintenance étaient en train de le remettre en activité », a affirmé à l’Agence France-Presse Thierry Mariani. « Nous venions d’effectuer une visite dans un camp de déplacés et les autorités syriennes sont convaincues que des gens du camp ont prévenu les tireurs car les obus ont commencé à tomber cinq minutes après notre arrivée à l’aéroport », a-t-il ajouté par téléphone à son arrivée à Damas. La délégation doit quitter la capitale syrienne lundi.

Le régime syrien avait annoncé le 22 décembre avoir repris le contrôle total d’Alep, après plus de quatre ans de combats acharnés et l’évacuation de dizaines de milliers de combattants et de civils qui habitaient les derniers quartiers rebelles de la deuxième ville du pays.

Hamon-Montebourg, le duel des programmes : le travail (1/4)

En annonçant à cinq jours d’intervalle leur candidature à la primaire de la Belle Alliance populaire, Benoît Hamon et Arnaud Montebourg ont suscité une certaine incompréhension : pourquoi diable les deux amis, ténors de l’aile gauche du PS, proches des frondeurs et évincés du gouvernement en même temps ont-ils décidé de jouer chacun leur propre partition ? Deux prétendants pour une même ligne politique, voilà un choix parfaitement incongru.

Après six mois de campagne, durant lesquels les deux candidats ont construit, exposé, affiné leur programme respectif, le constat est clair : Hamon et Montebourg ont beaucoup plus de divergences qu’il n’y paraissait. Plus encore, ils nous livrent, sur certaines thématiques, deux visions parfaitement opposées, notamment sur le travail. Cette question est, pour l’un comme pour l’autre, à la base de leur projet politique.

« Raréfaction du travail »…

Partout où il est invité, Benoît Hamon ne cesse de le répéter : dans les années à venir, en raison de la révolution numérique et technologique, la France connaîtra un phénomène important de « raréfaction du travail ». « Bientôt, quand vous ferez vos courses, vous passerez sous des portiques qui scanneront vos articles. Mais il n’y aura plus de caissières », prophétise-t-il sur le plateau de L’Émission politique sur France 2. Chez Hamon, ce constat vient irriguer la plupart de ses propositions en matière d’économie ou de protection sociale, comme l’illustre sa réforme majeure : la mise en place du revenu universel de base.

Convaincu que le travail « est trop souvent synonyme de souffrance et de perte de sens », l’ex-ministre de l’Éducation revendique la possibilité pour tous de choisir librement ses horaires pour se consacrer à d’autres activités. Il préconise, en ce sens, « un droit inconditionnel au temps partiel accompagné d’une compensation salariale », en incitant financièrement les entreprises à réduire le temps de travail des salariés qui le souhaitent, via notamment une réaffectation des crédits du CICE. Grâce à cette stratégie, celui qui est passé par le cabinet de Martine Aubry au moment de la réforme des 35 heures parie in fine sur une réduction du taux de chômage. En somme, comme il nous le confiait dernièrement, Benoît Hamon « essaye de mettre en œuvre un processus de désintoxication du travail pour la société ».

… Versus « Société du travail »

Tout le contraire, finalement, d’Arnaud Montebourg. Mercredi matin, l’ex-ministre du Redressement productif a convié la presse dans un bar du 10e arrondissement, sur les berges du canal Saint-Martin, pour présenter son programme économique chiffré. Son titre laissait peu de doutes sur l’orientation générale adoptée par le candidat : « Manifeste économique pour la société du travail ». Tout au long de son allocution, le chantre du « made in France » a donné le sentiment de vouloir se démarquer de son meilleur ennemi dans cette primaire de la gauche, sans jamais le nommer. « Des générations entières ont fait la France. Comment ? Par le travail », a-t-il clamé, avant de se comparer – humblement – à Victor Hugo : « Je suis finalement un petit peu comme Victor Hugo quand il exaltait le travail fier ! Moi je crois à la société du travail parce que c’est l’outil de la dignité du citoyen. » Et d’ajouter, quelques minutes plus tard : « Plutôt qu’annoncer la fin du travail, je préfère la fin de l’austérité ! »

Sur cette question, la fracture avec Hamon est claire, et confirmée par l’un des lieutenants d’Arnaud Montebourg : « Toutes les études le disent, il n’y aura pas de chômage technologique de masse. Et la gauche ne gagnera pas sur la question de la raréfaction du travail. » Ce n’est donc pas par la réduction du temps de travail que le natif de la Nièvre compte faire baisser le chômage, mais en créant ce qu’il appelle « la société des trois contrats » : renforcer le contrat de travail en normalisant le CDI, mettre en place un contrat d’activité à durée indéterminée afin d’embaucher des demandeurs d’emploi dans le secteur de l’économie sociale et solidaire, et enfin élaborer un contrat de formation pour que chaque chômeur puisse se former pendant un an (Voir vidéo ci-dessous, à partir de 11’45). Couplé à une baisse de la CSG pour les petits salaires afin d’augmenter le pouvoir d’achat, ce dispositif entre dans un processus global de relance économique par la demande.

Des points communs

S’ils mettent en avant leur opposition sur leur rapport au travail, Benoît Hamon et Arnaud Montebourg gardent en revanche un certain nombre de revendications communes, issues de la tradition idéologique à laquelle ils appartiennent. Tous deux promettent, une fois arrivés au pouvoir, d’abroger dans les plus brefs délais la loi El Khomri, que Hamon a par ailleurs combattue sur les bancs de l’Assemblée nationale l’été dernier. Pour l’un comme pour l’autre, la « loi travail » fait « travailler plus pour gagner moins » et encourage les licenciements. Hamon et Montebourg sont sur la même longueur d’onde sur la question des droits des travailleurs : ils proposent chacun de réguler « l’ubérisation de la société » en obligeant les sociétés à prendre en charge la protection sociale de leurs collaborateurs et d’élargir la représentation des salariés dans les conseils d’adminisration des entreprises.

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Faut-il réhabiliter « l'assassin » Jules Moch ?

Jules Moch ? « Un nazi », « un assassin », « une basse canaille », « un matraqueur d’ouvriers », disaient de lui ses opposants communistes dans les années 1950 et longtemps après. En 2017, ceux à qui ce nom, Jules Moch, évoque encore quelque chose ont les mêmes idées en tête : l’ancien ministre socialiste de l’Intérieur est et restera l’homme qui a réprimé dans le sang des révoltes ouvrières. Et il ne sera rien d’autre. L’infamie écrase le reste, occulte tout, interdit le moindre rappel biographique qui s’écarterait de ses années place Beauvau.

Décembre 1947, des grèves paralysent le pays. Certaines dégénèrent. La police empêche le sabotage de lignes d’électricité dans la région parisienne par des militants communistes. Ministre de l’Intérieur, Jules Moch fait réquisitionner des gradés électriciens et mobilise des escadrons de police sur des lieux stratégiques. Après plusieurs jours de blocages et de conflits, qui entraîneront la mort de 16 voyageurs après le déraillement d’un train consécutif à l’action de militants, le mouvement s’épuise, les syndicats reculent. Le succès du ministre de l’Intérieur, adepte de l’ordre républicain, quoi qu’il en coûte, est cependant terni par la mort de deux cheminots à Valence et d’un mineur dans le Gard.

Contre les pleins pouvoirs à Pétain

L’époque, la nôtre, n’aura pas retenu contre Moch les expulsions de travailleurs étrangers qui ont pris part à des échauffourées… Reste que sa mémoire est définitivement associée à ces tristes faits, qui font ainsi réagir le député européen socialiste Emmanuel Maurel : « Jules Moch n’a pas une place enviable dans l’histoire du socialisme français. » Certes, mais on conseille à Emmanuel Maurel la lecture d’un livre très instructif, Les Parias de la République (Perrin), écrit d’une plume rigoureuse par Maxime Tandonnet, haut fonctionnaire et ancien conseiller de Nicolas Sakozy à l’Élysée. Entre divers portraits de « parias » – Alexandre Millerand, André Tardieu, Georges Bidault… –, l’auteur narre le parcours de Jules Moch, dont la grandeur d’âme, passée aux oubliettes, s’est pourtant illustrée à maintes reprises au cours de l’histoire. M. Maurel sait-il, par exemple, que l’ancien ministre de l’Intérieur fait partie des 80 parlementaires qui, sur les 669 présents dans la salle du casino de Vichy le 10 juillet 1940, refusèrent de voter les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, s’opposant très violemment à la majorité du groupe socialiste favorable alors à Pierre Laval ?

Avant cela, dès 1938, il s’était farouchement opposé, contre l’avis de son plus proche ami Léon Blum, aux accords de Munich. S’il les vota, finalement, ce fut au nom de cette amitié qui lui était chère et qui n’aurait pas survécu à un tel désaccord. Dans ses mémoires, Moch évoque « le diktat de Munich », qui ouvre la voie à une nouvelle guerre.

Le 3 septembre 1939, à la suite de l’invasion de la Pologne par la Wehrmacht, il vote en faveur de la guerre contre l’Allemagne. Le député de Sète écrit dans ses mémoires : « Je suis désespéré. Je ne crois pas qu’il existe pire supplice pour un père que d’avoir à prendre une part de responsabilité dans un vote pour la guerre quand il a des fils en âge de se battre et lorsque son espoir, tout au long de ces quatre années (1914-1918), a été que ses fils ne vivent pas de telles journées. Je vote tout de même. Puis je m’effondre en larmes à mon banc. » André, l’un de ses deux fils, est assassiné par la Milice en juin 1942, en Isère. Un drame qui marquera profondément sa vie et fera basculer sa femme, Germaine, dans une démence dégénérative avant son suicide en juillet 1962.

L’intérêt commun au-dessus de tout

M. Maurel sait-il également qu’à la suite de son vote anti-Pétain, Jules Moch fut interné dans l’Indre, qu’il a rejoint la France libre à Londres en avril 1943, puis à Alger?

En 1945, il devient ministre des Travaux publics et des Transports. C’est à lui, le premier, que le général de Gaulle confie son intention de démissionner. « Puisque je ne puis gouverner comme je le veux, c’est-à-dire pleinement, plutôt que de devoir démembrer mon pouvoir, je m’en vais », lui dit le général en janvier 1946.

En dépit de l’immense respect qu’il a pour le grand homme, Moch s’opposera ensuite à lui, notamment s’agissant de son rapport aux institutions. Pour le socialiste, une Ve République mettrait le chef de l’État dans l’habit d’un dictateur omnipotent. En outre, il tenait que le renforcement du pouvoir exécutif exposerait la fonction présidentielle au chantage direct de la rue, sans le filtre du Parlement. « La France veut être gouvernée, martelait-il. L’homme de la rue souhaite que règne l’ordre et s’exerce l’autorité. » Polytechnicien, défenseur du pouvoir parlementaire, Moch n’en est pas moins un homme autoritaire, ferme, plaçant l’intérêt commun au-dessus de tout. Maxime Tandonnet raconte que l’élu perdit son premier poste de député de la Drôme notamment en raison de son refus d’accorder des passe-droits ou de menus services à ses électeurs… « La loi est la même pour tous ! » répondait-il à ceux qui sollicitaient une faveur.

Il découvre la réalité du communisme dès 1921

Avant les accusations d’assassinat d’ouvriers, on l’a présenté comme un « grand bourgeois », « millionnaire » et « arrogant ». Selon Tandonnet, il était juste « pudique », voire « timide ». Né d’un père dreyfusard et ami du capitaine Dreyfus, Moch a une passion pour la justice qui n’a d’égale que son patriotisme. Avant de s’engager en politique, il travailla en tant qu’ingénieur pour une société d’équipement de voies ferrées. En 1921, affecté à Moscou, il découvre la réalité du communisme, qui suscite son rejet, puis son adhésion au Parti socialiste.

Jusqu’à la fin de sa vie, il sera inclassable, bien que se disant de gauche, étatiste et patriote. Il se méfiait de l’Europe, milita en faveur de la décolonisation et contre le réarmement de l’Allemagne de l’Ouest après la guerre. Il n’aimait pas Mitterrand et fustigeait le programme commun, plus communiste que socialiste, selon lui. À la fin de sa vie, il se fit un plaisir de rappeler quelques fondamentaux à cette gauche mitterrandienne obnubilée par l’accession au pouvoir, quitte à se renier ou à se dénaturer. Que le PS ait à sa tête un leader machiavélique, qui s’est compromis à Vichy, et à sa base une idéologie soixante-huitarde triomphante lui était insupportable.

Ses anciens compagnons lui reprochaient-ils sa gestion des manifestations ? Il en rajoutait : « Quelque chose ne tourne pas rond chez nous. Chacun constate que les routiers peuvent barrer les autoroutes, les viticulteurs clore nos frontières, les étudiants saboter leurs cours, se livrer parfois à des voies de fait sur leurs maîtres. » Mai 68 n’est pour lui que « les excès de groupuscules, trotskistes, pro-chinois ou fascistes », dont il réprouve les manifestations « scandaleuses » comme celle qui consista à scander des mots d’ordre hostiles devant la tombe du Soldat inconnu. Directeur de l’hebdomadaire socialiste L’Unité, Claude Estier répond que « les militants socialistes ne se reconnaissent pas en Jules Moch et n’ont rien à faire de ses leçons ».

En 1974, Moch, « par fidélité pour Léon Blum », ne renouvelle pas sa carte au PS. Il parle du « drame de sa vieillesse ». Il meurt en 1985. La lecture des Parias de la République et d’Une si longue vie, son livre de souvenirs publié en 1976, permettra à Emmanuel Maurel et à d’autres, tous ceux qui font de Jules Moch le dernier des assassins socialistes, de regarder différemment le parcours des hommes qui ont fait l’histoire.

« Les Parias de la République » de Maxime Tandonnet, Perrin, 23,90 euros.

Nouailhac – Vous avez dit Bézard ?

Tout a été dit ou presque sur le procès hors norme de Christine Lagarde devant la Cour de justice de la République. Avoir déclaré l’ancienne ministre coupable de « négligence » dans l’affaire Tapie-Adidas sans l’avoir condamnée à quoi que ce soit procède déjà, de la part des juges, d’un curieux état d’esprit. Que ce procès, initié à la suite d’une plainte contre la directrice du FMI déposée par des parlementaires socialistes, parmi lesquels Jean-Marc Ayrault et Jérôme Cahuzac, soit arrivé à son terme pose ensuite question sur son aspect politique. Quand on sait enfin que, parmi les quinze juges de cette CJR, on ne compte que trois magistrats professionnels pour six députés et autant de sénateurs choisis par leurs collègues, on peut facilement imaginer les arrière-pensées qui ont pu virevolter dans ce tribunal très spécial à l’aube d’une période électorale brûlante d’intensité.

Tout a été écrit également, ou presque, sur cette fameuse « négligence » qui est reprochée à Christine Lagarde : ne pas avoir contesté le résultat de l’arbitrage accordant des centaines de millions d’euros à Bernard Tapie. Or, en matière d’arbitrage, selon les spécialistes, les chances de succès d’un tel recours sont extrêmement minces. L’avocat Daniel Soulez Larivière, qui connaît bien la question, estime qu’un « appel-nullité » dans ce genre de dossier a une chance sur mille de réussir. Et pourtant, c’est sur cette base que la directrice du FMI a été condamnée par la CJR. Que s’est-il donc passé ? Tout simplement le témoignage d’un homme, Bruno Bézard, totalement inconnu du grand public mais détenteur d’immenses pouvoirs, ceux des généraux de haut rang qui dirigent l’armée des technocrates de Bercy et ont de ce fait un sentiment d’immunité et une grande capacité de nuisance : le côté obscur de ce château hors du monde ?

« Un modèle et une caricature de haut fonctionnaire »

Ce Bruno Bézard est un phénomène : issu d’un milieu modeste, père contremaître en Picardie, mère assistante médicale, incroyablement doué pour les études et bosseur acharné, il va monter jusqu’au sommet du système français : diplômé de Polytechnique, il enquille sur l’ENA dont il sortira major, avant d’intégrer l’Inspection des finances, puis de grimper un à un tous les échelons de Bercy. Elsa Conesa pour Les Échos en a fait un portrait grinçant : « C’est un véritable moine-soldat, dévoué corps et âme au service public, avec ses raideurs et son intégrité, écrit-elle, un pur produit de la méritocratie républicaine. […] En 2000, avouant une certaine tendresse pour la gauche, il rejoint le cabinet de Lionel Jospin à Matignon, sans toutefois adhérer au Parti socialiste. »

Un patron l’a croqué ainsi : « C’est à la fois un modèle et une caricature de haut fonctionnaire. » Un autre a dit de lui : « Comme nombre de hauts fonctionnaires, il a la conviction qu’il détient à lui seul l’intérêt général. » À Bercy, on l’affecte d’un « petit côté Fouquier-Tinville » et on lui reconnaît « l’art des rapports de force »… On aura compris : Bruno Bézard, avec son cerveau qui sort de l’ordinaire et une carrure d’armoire à glace, en impose à tout le monde, ses collègues de Bercy, les patrons qu’il est amené à rencontrer et les ministres qu’il côtoie.

Nommé à la direction du Trésor

Nommé directeur adjoint de l’Agence des participations de l’État (APE) en 2003, il en sera le directeur général entre 2007 et 2010, puis finira par accéder, après le retour de la gauche au pouvoir en 2012, à la très prestigieuse et très convoitée Direction du Trésor, l’un des plus beaux postes de la République, là où les salaires des directeurs sont plus élevés que ceux de leurs ministres.

Cela étant, une question se pose : quel rapport avec Christine Lagarde, ministre de l’Économie et des Finances sous la présidence Sarkozy ? Réponse : justement cette APE, qui gère et surveille comme le lait sur le feu – mais pas toujours – les participations de l’État dans les plus grandes entreprises, Renault, EDF ou Areva. Bruno Bézard y gérera les plus gros dossiers des années 2000 : création de La Banque postale, privatisation des autoroutes, fusion de GDF/Suez, cotation d’EDF…

De Bercy à un fonds d’investissement franco-chinois

Consulté à plusieurs reprises par le cabinet de Christine Lagarde et sans doute par la ministre elle-même, sur la question d’un appel après l’arbitrage Tapie, il s’oppose à chaque fois à tous ceux qui n’en sont pas partisans, avec la certitude, frisant l’arrogance, d’avoir raison envers et contre tous, y compris contre sa patronne. Le chroniqueur judiciaire du Figaro Stéphane Durand-Souffland, qui l’a vu témoigner avec une certaine brutalité contre Christine Lagarde, écrit que Bruno Bézard n’a « jamais digéré » la décision de sa ministre qui n’a pas voulu suivre ses conseils ainsi que les avis des « hauts fonctionnaires arrogants et sûrs de leur immense valeur, énarques pour qui les politiques nommés à la tête de Bercy font à l’évidence figure d’éphémères zozos »…

Seulement voilà, lorsque Bruno Bézard témoigne contre son ancienne ministre et fait basculer son procès vers une condamnation pour « négligence », il n’est plus à Bercy. Il a démissionné en mai 2013, à l’âge de 53 ans. Il n’est plus le haut fonctionnaire conquérant et admiré de ses pairs, « le moine-soldat dévoué corps et âme au service public ». C’est totalement incongru et d’autant plus sidérant qu’il a quitté Bercy pour intégrer un vulgaire fonds d’investissement franco-chinois, Cathay Capital, dont certains capitaux sont curieusement abondés par une banque publique française, Bpifrance, ce qui d’évidence pose un gros problème déontologique.

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L’omerta règne

Cathay Capital doit, semble-t-il, une grande partie de son succès à des fonds publics, mais la Commission de déontologie chargée de donner son feu vert aux fonctionnaires qui partent dans le privé ne trouve rien à y redire et donne sans sourciller à Bruno Bézard son « avis de compatibilité ». À Bercy et dans le milieu, « tout le monde est tombé de sa chaise, mais l’omerta règne ». On n’avait encore jamais vu un directeur du Trésor quitter ainsi l’administration, la cinquantaine venue, pour se lancer dans une gargote financière de médiocre niveau international. Mais ce n’est peut-être pas le pire…

« En plaidant pour Mme Lagarde, écrit Stéphane Durand-Souffland, Me Patrick Maisonneuve remarquera avec malice que l’infaillible M. Bézard avait été moins inspiré en recommandant l’achat d’Uramin par Areva, opération qui s’est soldée par un autre gouffre financier. » Bruno Bézard, qui représentait alors le gouvernement au conseil d’Areva, avait donné son accord à Anne Lauvergeon pour dépenser près de 2 milliards d’euros dans l’achat de mines d’uranium en Afrique, en réalité des mines sans uranium, une gigantesque arnaque qui avait défrayé alors la chronique et pour laquelle on attend toujours un procès ! Vous avez dit bizarre ? Un procès pour « négligence », peut-être ? Ce serait un minimum…

Près de 660 000 nouveaux inscrits sur les listes électorales en 2016

Affluence record. Près de 660 000 personnes se sont inscrites en ligne sur les listes électorales en 2016 en France, ce qui représente une augmentation de 180 % par rapport à l’année 2011, a indiqué ce lundi la Direction de l’information légale et administrative (Dila).

Les Français de plus de 18 ans pouvaient s’inscrire en ligne jusqu’au 31 décembre. « Ce que 659 011 d’entre eux ont fait dans les temps », le site service-public.fr connaissant fin 2016 « un pic de fréquentation inédit pour cette démarche », indique la Dila dans un communiqué. Fin décembre, 5 772 communes représentant plus de 36 millions de personnes, soit 54 % de la population française, étaient raccordées au service « Demande d’inscription en ligne sur les listes électorales » (ILE), précise la Direction de l’information légale, placée sous l’autorité du secrétariat général du gouvernement.

Pics de connexion

« Les pics de connexion se sont concentrés à plus de 50 % sur le dernier mois de l’année, et en particulier le 29 décembre avec 37 136 demandes, le 30 avec 45 124 demandes, le 31 décembre avec 49 576 demandes », souligne la Dila. En 2011, l’année qui a précédé le dernier scrutin présidentiel en France, 235 000 demandes d’inscription en ligne avaient été enregistrées. Selon les chiffres de l’Insee, au 1er mars 2016, 44 834 000 personnes étaient inscrites sur les listes électorales, soit 1 % de plus qu’en 2012.