Sarkozy ressuscite le clivage droite-gauche

Est-ce pour tenter de chambouler les sondages qui le maltraitent depuis trop longtemps maintenant ou parce qu’il lui manque un stratège capable d’une véritable réflexion historico-politique ? Quelle que soit la raison, Nicolas Sarkozy a effectué hier sur TF1 une petite révolution discursive, une sorte de retournement de veste l’air de rien.

Alors qu’on l’interroge sur la situation politique en Autriche où le candidat d’extrême droite et le candidat écologiste se talonnent au second tour de l’élection présidentielle, le patron des Républicains formule cette réponse inattendue. « Cela fait, je crois, dix ans qu’en Autriche comme en Allemagne, il y a une grande coalition au pouvoir, c’est-à-dire un mélange entre la droite et la gauche. Quand il n’y a plus de droite et quand il n’y a plus de gauche, les extrêmes en profitent. »

On se pince ! Entendre Sarkozy fustiger l’absence de clivage, le même Sarkozy qui, hier encore, sous l’influence du gaulliste Henri Guaino et de l’idéologue Patrick Buisson clamait la fin du clivage droite-gauche, voilà qui ne manque pas de piquant. Dès la fin de la campagne présidentielle 2012, le dépassement des clivages partisans trottait dans la tête du président déchu. Plus précisément, une question le taraudait : comment additionner les contraires ? L’ancien sondeur Pierre Giacometti ne cachait pas à l’époque son souhait de voir le clivant Nicolas Sarkozy se transformer en candidat « souple, élastique » disait-il, suffisamment universel pour séduire la plus large partie du spectre électoral.

Le signe de son pragmatisme ?

Au moment de revenir dans l’arène politique, à l’orée de la campagne pour la présidence de l’ancienne UMP en 2014, dans sa tête et dans ses mots, le clivage peuple/élites semblait avoir remplacé la séparation parlementaire droite/gauche. D’ailleurs, le terme « droite » n’était jamais prononcé, et le candidat à la tête du parti se gardait bien d’évoquer son appartenance à une famille politique. En privé, il refusait même de se définir comme « un homme de droite ». Bref, le locataire de la rue de Miromesnil tentait de réaliser une drôle de synthèse tout en rejetant le MoDem de Bayrou, coupable de ne pas pencher assez… à droite – en politique personne n’est à une contradiction près !

Et soudain, le voici qui affirme que « ce qui se passe en Autriche, si le débat politique français ne réagit pas, si l’alternance ne se fait pas autour d’idées fortes où chacun défend ses convictions sans l’obsession de ressembler à tous, eh bien, c’est ce qui peut arriver ». Ses contempteurs verront dans ce changement de pied la preuve de son angoisse face à un Juppé toujours au firmament sondagier. Ses soutiens préféreront y déceler le signe de son incroyable pragmatisme, teinté d’une grande adaptabilité. Et s’il fallait y voir plutôt la conviction très sarkozyenne de la radicalisation de la société française ?

Depuis qu’il a repris son tour de France, le patron des Républicains voit croître le besoin de radicalité. Les manifestations, le succès ou l’émergence de penseurs tels que Finkielkraut ou Bellamy, nettement moins onctueux que Stéphane Hessel, le confortent dans cette idée. Alors quand Alain Juppé discourt sur « l’identité heureuse », Sarkozy ricane, sûr que son rival commet là une faute électorale. Son nouveau pari, sa dernière tentative pour remonter la pente, tient donc en trois mots : ressusciter les clivages. Organiser le débat, faire vivre la confrontation. Et au jeu du plus clivant, Sarkozy excelle. Reste à savoir si les électeurs de la primaire ont envie de faire gagner le plus clivant ou le plus apaisant.