Place Beauvau, on mobilise contre la radicalisation

Début 2015, cela avait été un niet au gouvernement. Pas question de consacrer la première réunion de l’instance de dialogue avec l’islam, à la question de la radicalisation. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) s’y était fermement opposé. Il n’était pas le seul. «C’était d’emblée enlever sa crédibilité à l’instance de dialogue», estime M’Hamed Henniche, secrétaire général de l’Union des associations musulmanes de Seine-Saint-Denis (UAM-93). Mais ce refus était surtout significatif d’un climat.

Au sein des milieux musulmans, le débat est très vif sur les racines et les causes de la radicalisation (un terme qui pose question), sur ses liens ou non avec l’islam. Sagement, la place Beauvau a donc patienté. La deuxième réunion de l’instance de dialogue avec l’islam, réunie lundi au ministère de l’Intérieur, a bel et bien été consacrée à la prévention de la radicalisation. Elle a été ouverte par le Premier ministre Manuel Valls par un discours d’apaisement vis-à-vis des musulmans français. «Il faut, bien sûr, chercher à comprendre, ce qui ne veut pas dire chercher je ne sais quelle explication», a-t-il déclaré, cherchant à corriger sa déclaration polémique prononcée après les attentats du 13 Novembre. Valls avait alors dit qu’«expliquer, c’était déjà vouloir un peu excuser. »

Initiatives. Les débats au sein de la communauté musulmane sont toujours là. «Je sais que le choix de ce thème de la radicalisation a suscité des interrogations», a reconnu d’ailleurs lundi Bernard Cazeneuve face aux invités de l’instance de dialogue.

Mais le vent a tourné depuis les attentats du 13 Novembre. «Les musulmans ont pris conscience qu’ils étaient eux-mêmes des cibles et que l’image de leur religion était gravement atteinte», pointe le sociologue des religions Franck Fregosi, spécialiste de l’islam. Mais beaucoup de fidèles musulmans demeurent sur la défensive et les mouvances salafistes, elles, crient toujours à la stigmatisation. Bernard Cazeneuve insiste, lui, sur l’urgence de la situation livrant des chiffres alarmants. En France, environ 2 000 jeunes (revenus du jihad ou souhaitant se rendre en Syrie et en Irak) sont partie prenante des filières terroristes, soit quatre fois plus qu’il y a deux ans. Quitte à froisser, le ministre a aussi souligné la «dimension religieuse» du «cadre de mobilisation proposée aux djihadistes ». Pour le gouvernement, il s’agit de mobiliser les responsables musulmans afin de contrer les discours de l’Etat islamique.

Formation. Sur le terrain, quelques initiatives existent déjà. Comme à la mosquée de Cenon (Gironde). «Je reçois des jeunes convertis dont la radicalisation des pratiques religieuses inquiète leurs familles», raconte l’imam Mahmoud Doua. Mais pour lui, l’exercice a ses limites. «Je ne peux pas intervenir auprès de jeunes qui sont déjà tombés dans la violence», dit-il. Le président du CFCM suggère de réfléchir à la création d’un conseil religieux qui serait le lieu d’élaboration d’un discours théologique musulman, adapté aux réalités françaises. Une idée qui fait peu à peu son chemin. Le gouvernement a profité de cette journée de débats, pour mettre sur la table quelques propositions : une meilleure intégration des acteurs religieux dans les 101 cellules locales de suivi et d’accompagnement des personnes radicalisées et une meilleure structuration de l’aumônerie musulmane en prison (un sujet hautement sensible). Mais il n’est toujours pas question de créer un véritable statut (avec rémunération) des aumôniers musulmans pénitentiaires.

Reste aussi à professionaliser réellement l’islam de France et donc porter un effort conséquent sur la formation des imams. Un vieux serpent de mer. Le gouvernement, ligoté par les contraintes de la loi de 1905, souhaite s’investir uniquement sur la formation civique. Pourtant, pour l’islamologue Rachid Benzine, la plupart des imams qui exercent actuellement dans les mosquées françaises sont incapables de contrer religieusement le discours de l’État islamique. La quadrature du cercle !

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Bernadette Sauvaget