Cinq choses que nous avons apprises en utilisant WhatsApp pour les élections

A l’occasion du premier et du second tour des régionales, Libération a entrepris d’expérimenter un nouveau moyen d’informer ses lecteurs en utilisant l’application mobile WhatsApp. En s’inspirant de ce qui avait déjà été fait au Canada, aux Etats-Unis ou en France, l’idée était de livrer l’information directement sur les téléphones de nos lecteurs, sans passer par notre application mobile ou par les réseaux sociaux traditionnels (Twitter, Facebook). 

L’utilisation de ces nouvelles messageries est croissante, surtout chez les plus jeunes. Selon une étude du Reuters Institute, le réseau social est déjà utilisé par 9% des internautes dans le monde pour partager de l’information, et cela ne cesse d’augmenter. En Espagne ou au Brésil, 30% des internautes l’utilisent ainsi. WhatsApp a joué un rôle important dans les élections au Brésil. Libération propose d’ailleurs depuis peu à ses lecteurs sur mobile le partage sur WhatsApp. Voici cinq choses que l’on retire de cette expérimentation (et qui peuvent resservir).

1. Anticipez

WhatsApp n’est pas du tout pensé pour la diffusion d’un média à un public. Plusieurs contraintes techniques existent logiquement si vous souhaitez lancer une telle expérimentation. Il faut d’abord ajouter chacun des utilisateurs un par un dans votre répertoire, afin de pouvoir ensuite les assembler dans une liste de diffusion. Ces listes de diffusion ne peuvent contenir que 256 contacts, il faut donc en créer plusieurs.

Suivre les résultats des élections sur WhatsApp avec @libe ? C’est possible. Mode d’emploi ici : https://t.co/4MFjb41RpR#expérimentation

— Libération (@libe) 6 Décembre 2015

C’est une certitude, donc : si vous souhaitez lancer une expérimentation comme celle-ci, prenez de l’avance. A Libération, nous avons reçu entre le jeudi 3 décembre – date de l’annonce – et le dimanche 6 décembre – date du premier tour – plus de 2 000 demandes. Des contacts qu’il a fallu ajouter un par un, vous l’aurez compris. Résultat, le soir du premier tour à 20 heures, nous n’avions pu intégrer que 700 de nos lecteurs dans nos listes de diffusion et nous avons donné rendez-vous au deuxième tour aux autres.

2. Soyez patients

Selon nos calculs (oui, nous nous sommes chronométrés), il faut 15 secondes pour ajouter un contact. Donc 4 par minute, 240 par heure. L’ajout de la totalité des lecteurs à votre répertoire peut donc vous prendre beaucoup de temps – trois jours dans notre cas. C’est une opération très répétitive qui peut parfois faire friser l’aliénation à celui qui passe une journée complète à la réaliser.

Si vous comptez plusieurs listes de diffusion, il faut aussi envoyer les mêmes messages systématiquement à toutes vos listes. Ce qui est assez simple quand il s’agit de texte (simple copier-coller), se révèle plus contraignant lorsqu’il s’agit de vidéos. Il n’est pas rare non plus que l’application se ferme de manière impromptue au bout de quelques heures d’utilisation intensive.

Ultime contrainte technique, pour éviter que les messages ne soient considérés comme des spams par l’application et qu’ils ne soient pas diffusés, on a calculé qu’il fallait espacer les messages d’au moins dix minutes. Interrogé par Digiday, le directeur de la communication de WhatsApp a d’ailleurs confirmé que si ils «aimaient toujours voir des utilisations créatives de leur service», ils «n’avaient aucune feuille de route particulière concernant l’utilisation du service par des médias». Aucun effort n’est donc à attendre de leur côté. Vraiment : soyez patients.

3. Anglez

Lorsque l’on tient un live sur WhatsApp, le public à qui l’on s’adresse peut être extrêmement varié. D’un côté, les expatriés, qui souhaitent avoir un résumé clair et concis de la soirée électorale ; de l’autre, les mordus de l’actu, qui espèrent avoir d’autres infos que celles qu’ils trouvent sur Twitter ou à la télévision – ou encore les accros du téléphone, bloqués en repas de famille. Si aucun choix n’est fait, il faudra contenter tous ces publics et livrer à la fois les résultats complets de la soirée électorale région par région, des analyses, des coulisses et des actus chaudes. Le tout, avec les contraintes techniques que vous connaissez.

Dans le meilleur des cas donc, il faut faire des choix. Le message que l’on envoie à nos lecteurs doit être clair dès le départ pour ne pas décevoir : «Suivez les coulisses de la soirée électorale sur WhatsApp» ou «Vous ne suivez pas l’actu : tout ce que vous devez savoir de la soirée électorale sera sur WhatsApp». Les messages qui découleront seront très différents.

4. Innovez sur les formats

S’il existe de nombreuses contraintes techniques liées au fonctionnement de l’application, elle offre aussi une grande liberté dans les formats. Sans tomber dans le prétexte, il s’avère intéressant d’exploiter tous les modes de traitement (vidéo, son, images, émoticones), avec une préférence portée sur les formats visuels.

Au cours de la soirée électorale, nous avons essayé de relayer des analyses de Nicolas Lebourg, chercheur spécialisé sur le Front national, de Laurent Joffrin, directeur de Libération, et d’autres journalistes en vidéo. Le format a beaucoup plu à nos lecteurs qui nous ont livré leurs retours : ils ont trouvé là une proximité nouvelle avec le média. Un des autres apports possible de WhatsApp, c’est l’interactivité. Les lecteurs réagissaient aux messages postés, et nous aurions pu également intégrer dans notre couverture ces réactions. Par manque de moyens, nous ne l’avons pas expérimenté cette fois-ci.

5. N’espérez pas un retour financier direct

Bien, vous arrivez en fin d’article, et vous n’êtes toujours pas découragés. Vous vous préparez à présenter votre prochaine expérimentation WhatsApp à votre chef. Face à sa moue qui mine de comprendre ce qu’est « whassap », il vous assène la question qui tue : «D’accord, mais comment gagne-t-on de l’argent dans tout ça ?» Que ce soit clair : ne vous attendez pas à établir un business model basé uniquement sur l’application mobile. Son utilisation offre davantage de proximité avec les lecteurs, permet d’innover dans les formats.

Si vous souhaitez connaître un retour extérieur à la rédaction sur cette expérience, vous pouvez aussi lire les posts de blog sur le premier et le second tour de James Barisic, conseiller en réseaux sociaux.

LIBERATION